En cette soirée du 21 juillet, Toulouse d’Eté conviait les mélomanes curieux à un fascinant voyage dans le temps. Le festival avait confié à l’ensemble de cuivres anciens Les Sacqueboutiers le soin de créer un programme musical à la fois érudit et populaire, original et inventif. Rejoints par le très bel ensemble vocal A Sei Voci, les musiciens toulousains ont ainsi reconstitué un grand moment de l’histoire de la ville rose : les festivités qui ont accompagné, en 1565, la visite à Toulouse du cortège royal mené par Catherine de Médicis et son fils, le jeune roi Charles IX.
Un peu d’histoire pour remettre en mémoire les événements évoqués. La mort d’Henry II en 1559, puis celle de son fils, François II en 1560, donne le pouvoir aux mains de Catherine de Médicis en tant que régente de Charles IX. Après la paix d’Amboise en 1562 qui promulgua un édit permettant aux protestants le libre exercice de leur culte, la Reine mère Catherine de Médicis veut réconcilier, autour de la royauté, les Français divisés entre Papistes et Huguenots. A partir du mois de février 1564, elle organise alors un véritable « tour de France ». Accompagnée du jeune roi Charles, alors âgé de quatorze ans, du duc d’Anjou (le futur Henri III), du duc d’Alençon, et également du petit cousin Henri de Navarre (le futur Henri IV), elle consacre plus d’une année à rendre visite à ses provinces.
Le 1er février 1565, après les étapes d’Arles, Béziers, Narbonne, et Carcassonne, (où le roi reste bloqué durant les fêtes de Noël à cause de la neige), Catherine de Médicis et sa cour, composée de plusieurs milliers de personnes, entrent à Toulouse avec Charles IX, pour tenter de calmer les rivalités entre les communautés religieuses. Ils y séjourneront jusqu’au 19 mars.
« Leurs Majestez entrèrent dans la Ville, l’artillerie tonnant, les trompettes, hault boys et instrumens de musique sonnans, les rües tant des forbourgs que de la ville sablées et tapissées, les principales places ornées et embellyes d’Arcs, Porticques, Domes et Pyramides. »
Le cortège traverse ensuite la ville et arrive devant le portail de la cathédrale où est dressé :
« … un grand Dôme enlevé sur une lanterne […] et sur chaque angle une Pyramide […], entre lesquelles Pyramides y avoit autour des Galleries garnies de Balustres de Bresil, où estoit un concert de musique instrumentale. »
L’ensemble des musiciens et des chanteurs
interprétant Guillaume Boni
– Photo Classictoulouse –
La musique préside en effet aux festivités royales ainsi organisées. Parmi les œuvres jouées à cette occasion figurent en bonne place les compositions de Guillaume Boni, maître de chapelle de la cathédrale Saint-Etienne. Le programme du concert du 21 juillet représente un essai de reconstitution de ce que les privilégiés appelés à assister à ces festivités ont pu entendre en cette même Cathédrale Saint-Etienne. Une reconstitution réalisée avec l’aide du musicologue et musicien Philippe Canguilhem. Quelques-unes des œuvres retrouvées de Guillaume Boni en constituent l’épine dorsale.
Comme il se doit, tout commence par un grand défilé qui conduit les musiciens de l’entrée de la cathédrale au podium dressé au fond de la nef « Raymondine ». Accompagnés des cornets, sacqueboutes, chalémie, basson et tambour, les chanteurs célèbrent la royauté aux accents de « Carolus regnat ». Impressionnant défilé qui ouvre une succession de pièces habilement articulées et merveilleusement jouées et chantées.
La solennité du « Laudate Dominum » à 12 voix, de Roland de Lassus, qui ouvre la fête, est suivie d’un étonnant « Confitebor tibi Domine » à 6 voix du maître des lieux d’alors, Guillaume Boni. Ce triomphe de la polyphonie la plus raffinée mêle voix et instruments avec une science musicale qui atteint là son apogée. La qualité des timbres ainsi associés, la précision d’un rythme subtilement divers font merveille. Aux accents martiaux de ces deux pièces répond la douceur craintive et angélique de « Timor et Tremor » de Roland de Lassus. Le parfait mélange des voix et des instruments fonctionne parfaitement, produisant ainsi une richesse de timbres inouïe. Néanmoins deux pièces les séparent un moment. Le « Beatus vir » de Boni, à 5 voix a capella, et la « Pavane pour l’entrée du Roy Charles IX à Toulouse », pour les seuls instruments, publiée par Philidor, révèlent les qualités intrinsèques de chaque ensemble. Le bel intermède, consacré à la « Toccata per l’organo solo » de Claudio Merulo, offert par Yasuko Uyama-Bouvard sur le grand orgue de la cathédrale introduit la musique italienne à laquelle tout ce programme de musique française fait néanmoins référence.
Les deux ensembles Les Sacqueboutiers et A Sei Voci à l’issue de leur concert
– Photo Classictoulouse –
L’un des grands moments de la soirée réunit de nouveau l’ensemble des interprètes. Il s’agit du somptueux « Te Deum » à six voix de Roland de Lassus, que les interprètes ont choisi de donner pour remplacer le fameux « Te Deum » de Boni qui avait tant impressionné le jeune roi mais qui n’a malheureusement pas été retrouvé. L’alternance des appels de plain-chant, admirablement déclamés par le ténor Vincent Lièvre-Picard, et des riches réponses instrumentales et vocales édifient une architecture musicale d’une beauté absolue.
La découverte de quelques uns des « Quatrains du Sieur de Pibrac », mis en musique par Guillaume Boni, admirables miniatures poétiques et raffinées, constitue un autre point fort de la soirée qui s’achève sur l’imposant « Quaesumus omnipotens Deus » à 12 voix, inédit absolu qui résonne sous les voûtes de la cathédrale pour la première fois depuis plus de quatre siècles ! La double direction instrumentale et vocale fonctionne admirablement bien. Jean-Pierre Canihac et Daniel Lassalle, pour Les Sacqueboutiers, et Jean-Louis Comoretto, pour A Sei Voci, communient dans la même démarche « historiquement informée », comme l’on dit maintenant, et surtout profondément musicale pour un plaisir sans partage de l’auditeur. Un grand concert salué avec enthousiasme par un public impressionné et séduit !