Le concert du 2 avril ouvre les Rencontres des Musiques Anciennes d’Odyssud sur une belle réussite. Le thème de cette sixième édition, « Musica mediterranea », se retrouve non seulement dans l’origine de cette première manifestation, « Il Diluvio universale » (Le déluge universel), du compositeur calabrais Michelangelo Falvetti (1642-1692), mais aussi dans le nom de l’ensemble instrumental qui l’interprète, « La Capella Mediterranea ». Avec la participation du beau Chœur de Chambre de Namur et celle d’impressionnants solistes, Odyssud revit ainsi la découverte qui avait enchanté le Festival d’Ambronay 2010. Cheville ouvrière de cette résurrection, le jeune et fougueux chef argentin Leonardo García Alarcón dirige cet étonnant oratorio comme s’il en était le compositeur.
L’argument de cette œuvre est tiré de l’épisode le plus connu de l’Ancien Testament, celui du Déluge provoqué par un Dieu jaloux, las de la méchanceté et de la corruption qui gangrènent l’humanité. A l’issue des quarante jours et quarante nuits que dure cet enfer liquide, Dieu n’épargne que la famille de Noé et les espèces animales accueillies dans l’arche. Sur un livret efficace écrit par Vincenzo Giattini, Michelangelo Falvetti a imaginé, en 1682, une partition musicale foisonnante, une sorte de « catalogue des émotions humaines et des genres musicaux de l’époque », comme le note Leonardo García Alarcón. C’est d’ailleurs le chef argentin lui-même qui a ressuscité cette partition du maître de chapelle du Duomo de Palerme et plus tard de Messine. Comme très souvent pour des partitions de cette époque, tout n’est pas écrit. L’ornementation, une certaine dose d’improvisation sont laissées à l’humeur et à l’imagination des interprètes. En outre, la plupart du temps, l’instrumentation n’est pas imposée par le compositeur. Elle fait elle aussi partie des choix délégués aux exécutants. Néanmoins, Leonardo García Alarcón tient à souligner que l’écriture orchestrale à cinq voix, peu courante à l’époque, figure sur la partition originale qui illustre ainsi un style madrigalesque d’une grande modernité.
Le couple Noé-Rad, le ténor Fernando Guimarães et la soprano Mariana Flores
– Photo Classictoulouse –
L’évocation musicale du drame qui se joue ici se donne tous les moyens expressifs à la disposition des musiciens et des chanteurs. L’usage qui prévalait lors de la création de ces oratorios sacrés consistait à « cacher » les chanteurs à la vue de spectateurs. Aujourd’hui, les interprètes des personnages choisissent d’intervenir physiquement dans une mise en espace intelligente et efficace. Ainsi, l’ouverture instrumentale de l’œuvre est brusquement interrompue par la violente intervention de la « Justice Divine », incarnée de manière saisissante par la mezzo-soprano Evelyn Ramirez Munoz. Intervenant depuis la salle, elle impose son timbre d’airain, sa vocalisation impeccable et implacable, sa présence impérieuse. L’ensemble des chanteurs auxquels le chef laisse apparemment une certaine plage de liberté dans la cohérence, s’investit avec musicalité et conviction. Saluons notamment le couple touchant constitué du ténor Fernando Guimarães (Noé) et de la soprano Mariana Flores (son épouse Rad), mais aussi les interventions des sopranos Fleur Bouilhet Manent (L’Eau), Caroline Weynants (L’Air et la Nature humaine), ainsi que celles du ténor Thibault Lenaerts (Le Feu) et de la basse Sergio Ladu (La Terre). La Mort, seul personnage costumé et équipé de son inséparable faux, est incarnée par le contre-ténor Fabián Schofrin : voix exsangue, mais présence étonnante, à la fois grotesque et effrayante.
L’ensemble des interprètes au salut final. Au centre, le chef Leonardo García Alarcón
– Photo Classictoulouse –
Le chœur ne se contente pas de (bien !) chanter. Il incarne un personnage. Il pleure, se lamente parfois en poussant des cris désespérés. Lorsque le déluge divin submerge l’humanité, les paroles s’interrompent. Les dernières syllabes des mots deviennent des gémissements.
Les musiciens, quant à eux, réalisent un travail remarquable. Les échanges entre pupitres de cordes et ensemble de cuivres (cornetti et sacqueboutes) sont vifs. Le continuo se révèle d’une richesse impressionnante. Luth, théorbe, harpe, viole de gambe, orgue composent une basse continue inventive et foisonnante qui fait avancer l’action. Enfin, le percussionniste Keyvan Chemirani réalise une véritable performance de vitalité et de finesse, grâce à un arsenal d’instruments venus du « sud » : zarb, oud, darf…
L’ovation d’un public enchanté obtient des interprète une reprise de certains passage de l’œuvre. Mais finalement, c’est sur la fugue du Falstaff de… Verdi que s’achève la soirée. Tutto nel mondo è burla, entonné par les chanteurs et les musiciens, résonne de manière incroyable. Imaginez Verdi avec violons baroques, violes de gambe, luths, cornetti et sacqueboutes… Irrésistible !
Organisé avec le soutien de la Caisse d’Epargne à travers son programme « Esprit musique », cette première manifestation des Rencontres ouvre son cycle avec faste.