C’est sur l’accueil d’une  légende du piano que s’achevait, le 28 septembre dernier, le 32ème  festival Piano aux Jacobins. Menahem Pressler, qui fut pendant des décennies l’épine  dorsale du fameux Beaux Arts Trio, était donc l’hôte de la ville rose pour un  récital exceptionnel associant Mozart, Beethoven, Chopin et Schubert, avec une  incursion furtive dans la musique du XX° siècle, celle de Gyögy Kurtag.
A l’âge vénérable de 88 ans, cet infatigable artisan de la  musique mène une activité débordante. Il enseigne à plein temps à l’Ecole de  Musique de l’Université d’Indiana, à Bloomington où il réside, donne de  multiples master-classes et se produit en soliste, avec orchestre et en musique  de chambre dans le monde entier. Une profonde générosité, un sens aigu du  partage caractérisent son approche de la musique. Ainsi, il avait initialement  prévu, pour son récital toulousain un programme particulièrement riche et  copieux. Craignant peut-être pour sa résistance physique, il fait annoncer en  début de concert la suppression d’une des œuvres prévues. Finalement, non  seulement il joue l’œuvre en question, mais il en rajoute une, comme pour faire  un pied de nez aux atteintes de l’âge.
  Le prestigieux vétéran Menahem Pressler lors de son récital
du 28 septembre 2011 au cloître des Jacobins
(Photo Jean-Claude Meauxsoone)
Le sens de la couleur, de l’architecture, la sensibilité du toucher, la grande clarté du jeu restent les grandes qualités de ce musicien authentique. Certes, parfois les doigts se dérobent à sa volonté, mais quelle importance quant l’essentiel est là !
Dans le Rondo en la mineur KV 511, de Mozart, qui ouvre la soirée, le chambriste qu’il est resté offre cette tendresse infinie, portée par une lumineuse émotion. Le grand répertoire beethovénien s’ouvre ensuite sur la sublime sonate n° 31, le fameux opus 110 qui concentre tout le génie du compositeur. Menahem Pressler en élabore la construction avec logique et finesse. La fragilité qui parfois affecte tel ou tel trait virtuose devient une force expressive. Toute la partie finale qui enchaîne ce bouleversant récitatif, sorte de plainte résignée, avec la fugue de l’espoir, va droit au cœur.
Chopin et les trois Mazurkas que choisit de jouer l’interprète témoignent d’une élégance absolue. La troisième Ballade, que le pianiste avait donc envisagé de supprimer de son programme, est finalement jouée avec un panache de défi. Elle est suivie d’un Nocturne non prévu qui clôt la première partie du concert sur une rêverie poétique.
Avant d’aborder le cœur palpitant de la seconde partie, l’ultime sonate D 960 de Schubert, Menahem Pressler offre ce petit bijou de finesse enfantine qu’est la pièce « Les adieux à la manière de Janáček », extraite du recueil Játékok (Jeu), du Hongrois György Kurtag. Avec Schubert, le pianiste se retrouve enfin dans l’intimité la plus profonde, dans l’expression de la douleur transcendée. Comme pour une longue marche solitaire, il en franchit peu à peu les étapes. L’Andante sostenuto, en particulier, atteint une intensité d’autant plus forte que l’interprète n’y manifeste aucun pathos superflu. La musique seule se suffit à elle-même.
Devant l’accueil enthousiaste du public, Menahem Pressler offre généreusement deux bis supplémentaires : un Clair de Lune de Debussy d’une poésie lumineuse, et le Wiegenlied de Brahms, cette douce berceuse qui incite si joliment au repos. Un grand merci au maître !
								
								
								
								