A la fois pianiste et chef d’orchestre, Christian Zacharias est souvent l’hôte musical de la ville rose. S’il a assez souvent été invité à participer au festival Piano aux Jacobins, il est également appelé à diriger l’Orchestre national du Capitole aussi bien depuis son clavier que devant le pupitre de chef d’orchestre. Pour cette 43ème édition de la fête toulousaine du piano, il a une fois encore attiré, dans ce cloître mythique, la grande foule des mélomanes qui n’a pas manqué de l’acclamer longuement.
Le 14 septembre dernier, le pianiste allemand se présentait devant ses nombreux admirateurs avec un programme particulier et original, établissant un dialogue étonnant entre Tchaïkovski et Schubert. Au cours d’un entretien qu’il nous avait aimablement accordé, il s’était attaché à présenter son intérêt pour cette partition des Saisons du compositeur russe par lequel il allait ouvrir la soirée. « … j’ai commencé à aborder six de ces pièces de Tchaïkovski, avant de jouer le cycle entier des Saisons. Cette approche peu démonstrative me convient très bien. L’intimité qui se manifeste ici est très touchante. » Quant à son voisinage avec la Sonate n° 17 en ré majeur de Schubert également au programme, il ajoutait : « Ces pièces [de Tchaïkovski] peuvent être comparées aux Moments musicaux de Schubert. Il y a certes des différences mais tout cela évoque le grand voyage… »
Publié sous le titre : « Les Saisons – Douze pièces de caractère pour piano », ce cycle se distingue fortement de ceux de ses prédécesseurs (dont le fameux Vivaldi !) par le fait qu’il s’agit là de caractériser chaque mois de l’année et non chaque saison. Néanmoins, comme chez Vivaldi, chaque pièce est accompagnée d’une épigraphe poétique d’un écrivain russe, dont le plus célèbre n’est autre que Pouchkine.
Le jeu de Christian Zacharias s’attache à caractériser chaque mois de l’année en accord avec le titre de son épigraphe. Ainsi le mois de janvier (Au coin du feu) témoigne-t-il de cette intimité poétique évoquée par ce titre. Le mois de février, quant à lui, frémit d’une évocation exprimée et animée du Carnaval. Chaque épisode est caractérisé par un jeu différent de l’interprète qui déploie une large gamme de couleurs et de touchers, du velouté des pièces intimes à l’éclat percussif des mois animés. La plus célèbre de ces mélodies si « tchaïkovskiennes », celle du mois de juin (titrée Barcarolle) s’écoute comme un chant nostalgique. Les mois d’été (juillet, août septembre) frémissent d’une belle fièvre. L’année s’achève, comme il se doit sur une évocation touchante de Noël, illustrée par un poème de Vassili Joukovski.
L’acclamation du public s’avère si intense et durable que Christian Zacharias offre un bis de « milieu de concert » ! La Valse en ré bémol majeur op. 70 n° 3 de Frédéric Chopin lui attire une ovation supplémentaire.
La seconde partie du récital est donc consacrée à Franz Schubert et à sa Sonate n° 17 composée en août 1825. L’interprète en assume avec panache l’atmosphère générale hors norme qui ouvre l’Allegro vivace initial sous le signe d’une irrésistible énergie. Christian Zacharias ose même l’orage ! Le contraste n’est pas mince avec le Con moto qui suit et qui se pare d’une grandeur tragique. Après un Scherzo particulièrement dansant et vif, le final Rondo – Allegro : moderato révèle un étonnant retour vers une grâce légère comme héritée de ces Moments Musicaux évoqués plus haut par le pianiste. L’intérêt suscité par cette interprétation maintient le public dans une écoute presque religieuse. On a du mal à rompre le silence des dernière notes comme murmurées…
Les multiples rappels vers l’estrade de la salle capitulaire incitent le pianiste à offrir encore deux bis. Variations sur « Nel cor piu non mi sento » de Paisiello, du jeune Beethoven, sont suivies d’une des 555 sonates de Scarlatti dont Christian Zacharias s’est fait une sorte de spécialité.
Rappelons que cet artiste complet sera à la tête de l’Orchestre national du Capitole le vendredi 3 mars prochain, concert durant lequel il sera le chef et le soliste du Concerto n° 2 pour piano et orchestre de Beethoven.