Le magnifique festival qui anime tous les étés corréziens depuis quarante ans à présent se devait d’afficher pour son anniversaire deux opéras mythiques. La troupe Diva Opera, invitée chaque année de cette manifestation, apporte une splendide réponse à ce souhait avec le Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart et la Carmen de Georges Bizet.
Nous ne soulignerons jamais assez le professionnalisme et le talent de cette troupe britannique, capable d’aborder pratiquement tous les répertoires, ici sur une scène de 25 mètres carrés, de faire vivre les histoires des plus comiques aux plus douloureuses, jusqu’à présenter les infernaux Contes d’Hoffmann en 2014, tout cela accompagné au piano avec une virtuosité et une attention sans égales par son directeur musical Bryan Evans. Des mois de répétitions sont nécessaires avant ses périples internationaux, jusqu’au Japon, car il n’y a pas ici de chef d’orchestre. Aucun départ n’étant donné, il appartient aux chanteurs de mémoriser les tempi du pianiste et de se concerter comme le font des musiciens chambristes. Et quand on entend comment ils se sortent de pièges tels que les ensembles rossiniens par exemple, il n’y a plus qu’à les saluer bien bas.
Don Giovanni – Matthew Hargreaves (Leporello) et Matthew Durkan (au premier plan Don Giovanni)
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Photos mmphotoFDV –
Don Giovanni
Un tel standard fait partie du répertoire de cette troupe. Nous avons eu le plaisir de l’évoquer lors de leur dernière reprise ici-même en 2014. Cette année nous vaut la découverte d’un bien bel interprète du rôle-titre, Matthew Durkan. Une présence dévastatrice et un baryton incisif maîtrisé à la perfection sur toute la tessiture, capable de nuances souveraines, tracent un portrait mozartien du Burlador de Sevilla de haute tenue. Matthew Hargreaves (Leporello) est un habitué des lieux. Baryton-basse imposant de volume, de couleurs, d’autorité, celui qui fut le Commandeur en 2014 avant d’enchaîner le lendemain les quatre « diaboliques » des Contes d’Hoffmann, compose un valet de grande stature. La soprano Susanna Fairbairn fait également sa première apparition sur les bords de la Vézère. Elle incarne une Elvira engagée dramatiquement, magnifiquement stylée musicalement malgré un timbre un brin métallique dans les forte. Avec Gabriella Cassidy, nous retrouvons la dernière Constance in loco de L’Enlèvement au sérail (2018). Le timbre est ici plus moelleux, l’émission plus ronde. Un ambitus profond et parfaitement assumé en fait une Anna qui s’écoute avec mille plaisirs. Après être apparu dans la scène liminaire un peu en retrait dans le rôle du père d’Anna, la basse Richard Mitham impose dans le final un Commandeur de niveau international grâce à un timbre caverneux qui conserve ses harmoniques d’outre-tombe jusque dans les imprécations les plus tendues. Un modèle. C’est un autre pilier de cette troupe, le ténor Ashley Catling qui endosse le rôle d’Ottavio, version pragoise, c’est-à-dire avec l’unique Il mio tesoro comme aria. Cet artiste, au demeurant très engagé scéniquement, semble éprouver quelques difficultés et seules une immense musicalité et un sens scrupuleux des styles donnent un intérêt certain à ses interprétations. Unique française de l’étape, Faustine de Mones fait avec le jeune baryton Meilir Jones un couple Zerlina/Masetto proche de l’idéal. Une mise en scène forcément réduite au strict minimum réserve cependant des fulgurances qui épousent à merveille cet opéra de tous les défis.
Carmen – Robyn Lyn Evans (au premier plan Don José) et Katherine Aitken (Carmen)
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Photos mmphotoFDV –
Carmen
S’il est un opéra « piège » à donner devant un public français, c’est bien Carmen. Surtout si l’on décide d’adjoindre à la partie chantée les récitatifs… N’épiloguons pas sur cette option mais retenons plutôt ici la parfaite prosodie de la langue de Molière lorsque celle-ci est chantée, phénomène bien connu. Afficher Carmen, c’est avant tout distribuer une cigarière qui emporte tout sur son passage, autant vocalement que scéniquement.
Avouons que pour sa première apparition à la Vézère, Katherine Aitken n’a pas vraiment coché toutes les cases d’un emploi emblématique, son timbre cotonneux enlevant beaucoup de sensualité au personnage. A ses côtés, ou plutôt face à elle, le ténor Robyn Lyn Evans, que nous avions applaudi dans le rôle d’Alfred (La Chauve-souris en 2018) souffle le chaud, avec un air de la fleur à tomber par terre de musicalité, de phrasé, de sensibilité, et le froid avec un registre supérieur très « tendu », assuré certes, mais manquant singulièrement de souplesse. Nouvelle venue, Lucy Hall (Micaela) n’a aucun mal à recueillir tous les suffrages dans son air du troisième acte. Le grand triomphateur de la soirée sera tout de même le baryton Jean-Kristof Bouton, somptueux Escamillo dont le timbre volcanique lance les couplets du Toréador avec une assurance confondante. Mais Carmen se sont aussi de seconds rôles dont la qualité est indispensable à la réussite d’une représentation. L’effet troupe jouant, nous retrouvons Faustine de Mones, la Zerlina de la veille, dans Frasquita et ses contre-ut telluriques, Beth Moxon campe une Mercedes aguicheuse à souhait, Jevan McCauley est un Morales irréprochable, David Stephenson, un autre pilier de cette troupe, campe un Zuniga tout aussi parfait, ce qui n’est pas tout à fait le cas de Meilir Jones, hier Masetto de haute volée, aujourd’hui Dancaire à la peine, tout comme le Remendado d’Ashley Catling. Il en est ainsi du spectacle vivant… Un dernier mot sur la production qui nous a paru en l’occurrence assez éloignée des exigences de cette troupe. Pas très convaincante et semblant tourner en rond sur elle-même, avec des bizarreries comme Don José tuant Carmen d’un coup de feu (?), ou bien ces personnages qui font à deux reprises la chenille autour de Carmen et Don José lors du duo final (??), ou bien encore cette danseuse intervenant dans chaque prélude, distrayant le spectateur de pièces musicales somptueuses, ou pire, l’empêchant de les écouter à force de zapateados forcenés. Reconnaissons que les productions de cette compagnie nous ont habitués à plus d’élégance et de subtilité. Dommage. Il est bien connu que l’espagnolade est la pire ennemie de Carmen !
Malgré ces quelques réserves, saluons non seulement cette troupe mais également les organisateurs de ce festival qui, compte-tenu des circonstances, s’est tenu dans des conditions normales. Un exploit !