Festivals

Beethoven, Prokofiev, même combat

Né à Saint-Pétersbourg, il a à peine plus de vingt ans et parcourt déjà le monde comme un virtuose chevronné. Georgy Tchaidze a révélé son talent comme Premier Lauréat du Concours international de piano Honens de Calgary de 2009. Son escale au cloître des Jacobins révèle un talent original qui n’hésite pas à aborder les grands chefs-d’œuvre de la littérature pianistique.
Le programme de son récital du 11 septembre place en miroir deux compositeurs bien différents mais qui possèdent d’importants points de convergence. Avec Beethoven, auquel il consacre toute la première partie de la soirée, Georgy Tchaidze aborde l’essence même du piano « moderne ». Judicieusement, il choisit d’ouvrir le concert sur sa sonate n° 5 en ut mineur (une tonalité forte pour le compositeur de la cinquième symphonie). Cette partition d’un jeune homme révolté de vingt-six ans bouillonne d’énergie et de fureur. Dès les premiers accords, l’interprète lui confère à juste titre le caractère Sturm und Drang qui bouscule certaines pièces de Haydn. Passion, énergie rythmique, pulsions irrésistibles contrôlent l’Allegro molto initial. Après un Adagio molto imprégné d’une sorte d’angoisse nerveuse, le final impétueux se conclut sur un étonnant decrescendo presque grimaçant. Les Six Bagatelles de l’op. 126 qui suivent constituent en quelque sorte les adieux de Beethoven au piano. Ces miniatures concentrées à l’extrême, les plus grands beethovéniens les ont marquées de leur empreinte. Georgy Tchaidze y déploie son extrême virtuosité dans une vision particulièrement contrastée. De bouillonnantes poussées d’adrénaline nourrissent les deuxième et quatrième pièces, bourrées d’énergie.

Le jeune pianiste russe Georgy Tchaidze pendant son récital du 11 septembre 2012

– Photo Jean-Claude Meauxsoone –

L’opus 110, avant-dernière sonate en la bémol majeur, porte le poids du génie. Le jeune pianiste l’aborde sans complexe, avec une conviction qui emporte l’adhésion. Le Moderato et l’Allegro molto alternent avec vigueur les questions et les réponses. Mais c’est sur le récitatif de l’Adagio que le ton change. Dès les premières mesures de la fameuse fugue, une autre lumière éclaire le paysage. Georgy Tchaidze s’y implique avec une ferveur qui conduit irrésistiblement à l’éblouissement du final. L’interprète va au bout de sa démarche volontaire.

La seconde partie, consacrée à Prokofiev, débute elle aussi en ut mineur, avec la sonate n° 4 écrite au cours de l’année 1917. La technique des « doigts d’acier » n’effraie pas le jeune pianiste qui contrôle toujours son exécution avec rigueur. Après la mosaïque vibrionnante de l’Allegro initial, l’Andante assai alterne la menace et le chant. Le final résonne comme une fête dans laquelle se croisent d’étranges personnages. Ironie, humour et vigueur caractérisent le tempérament d’enfant terrible du compositeur que l’interprète fait sien.

La sonate n° 7, en si bémol majeur reste la plus célèbre, la plus jouée des neuf. Rien d’étonnant à cela. Elle rassemble tout ce qui fait l’originalité de Prokofiev. Une certaine exaltation du rythme, un lyrisme toujours présent, la hardiesse de l’harmonie. L’angoisse de l’Allegro inquieto (le bien nommé) est suivie de l’apaisement passager de l’Andante caloroso dans lequel le pianiste marque avec détermination la sonnerie d’un glas sinistre. Enfin, le Precipitato final (encore un titre bien choisi !), bâti sur un rythme asymétrique, offre à l’interprète le plus incroyable des déchaînements digitaux. Le crescendo conclusif coupe le souffle. Pas celui de l’interprète qui assume cette explosion progressive jusqu’à l’ivresse.

Trois bis sont nécessaires pour calmer l’enthousiasme du public. La célèbre « Boîte à musique » de Liadov (celle-là même qu’une certaine Florence Foster-Jenkins massacra jadis avec angélisme de sa voix inoubliable !), est suivie d’une des très belles Visions fugitives de Prokofiev. Georgy Tchaidze conclut sur une pièce inédite de Wagner : une étonnante Elegie retrouvée parmi les documents originaux de son Parsifal. Apprécions la découverte !

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