Philippe Estèphe, ce jeune trentenaire né à Agen, vit aujourd’hui dans son Sud-Ouest natal d’où il développe une intense activité musicale au travers de sa carrière mais également dans différentes structures (festival, compagnie) qui lui permettent de s’accomplir dans le domaine du management culturel. Pour l’heure, le voici de retour au Capitole dans un rôle qui lui est familier, celui de Dandini dans La Cenerentola de Gioacchino Rossini.
Rencontre
Classictoulouse : Les Toulousains vous ont entendu dernièrement à deux reprises, pour une version concert de La Vie parisienne d’Offenbach à la Halle aux Grains (Urbain et Alfred), ensuite dans une nouvelle production de La Flûte enchantée de Mozart au Théâtre du Capitole dans le rôle de Papageno. Votre calendrier, particulièrement étoffé, vous fait souvent croiser les compositeurs du 17e et 18e siècles Jean-Baptiste Lully et Marin Marais. Comment définissez-vous votre voix ?
Philippe Estèphe : Je suis un baryton lyrique. C’est vrai que je chante les compositeurs baroques mais, et c’est une chance aujourd’hui, je peux le faire avec ma voix, celle qui me permet également d’interpréter les 19e et 20e siècles.
Venons-en à cette Cenerentola dans laquelle vous interprétez Dandini. C’est un rôle qui vous est familier.
Effectivement. C’est un des premiers grands rôles que j’ai tenus. Je me souviens, c’était à l’Opéra de Tours dans la mise en scène de Jérôme Savary. Puis je l’ai repris à Cologne et en tournée avec la compagnie Opéra Eclaté, notamment au festival de Saint-Céré. Ce rôle est donc loin de m’être étranger.
Quand on examine l’ambitus requis pour les trois clés de fa que sont Alidoro, Don Magnifico et vous-même, on pourrait penser, peut-être trop rapidement, que les trois rôles peuvent être chantés par un même interprète…
C’est d’ailleurs la même chose avec Don Giovanni, Leporello et Masetto. Après c’est une question de couleur de voix. On peut avoir les notes mais pas le même spectre de couleurs dans la voix. Ce n’est pas tout, il y a aussi une question de tempérament artistique. Clairement aujourd’hui, je ne me vois pas enfiler le costume d’un vieux papa comme Magnifico, ou d’un philosophe comme Alidoro. Non, vraiment, Dandini me convient aujourd’hui. D’ailleurs c’est le choix, logique, de Christophe Ghristi. Un jour viendra, peut-être, où je chanterai Magnifico.
Quel portrait vous inspire ce personnage qui n’est pas très loin de son grand frère rossinien Figaro, un personnage que l’on retrouve dans Don Giovanni avec Leporello mais aussi chez Marivaux dans Le Jeu de l’amour et du hasard ? Que nous raconte ce duo improbable de la culture européenne ?
Il ne vous a pas échappé que ces duos se sont constitués dans des œuvres contemporaines de la Révolution française, une époque qui remettait sérieusement en cause les ordres établis depuis des millénaires. Cela dit, et vous le savez très bien, chaque fois il y a un retour à la situation initiale, comme une sorte d’autodérision de la classe dirigeante. Rossini, dans le premier air de Dandini, Come un’ape ne’ giorni d’aprile, en ajoute une strate supplémentaire en faisant de cette aria une parodie du grand opéra. A ce moment-là de la partition il ne me faut surtout pas oublier que je suis dans « l’imitation » d’un noble, Ramiro, pour les besoins de l’action. Ce passage, aussi comique soit-il, n’est certainement pas aussi innocent et amusant que nous pouvons le penser.
La partie de chant syllabique est très développée dans cet opéra. On peut imaginer que c’est une difficulté supplémentaire dans un rôle qui finalement se révèle être le pivot de l’action, le factotum de l’intrigue, jouant au chat et à la souris avec Don Magnifico.
Je confirme ! Il faut donc travailler énormément sur le souffle et l’articulation. Ce jeu de questions/réponses, j’ai la chance de le chanter dans le grand duo du deuxième acte, Un segreto d’importanza, avec un expert en la matière, Vincenzo Taormina. C’est un véritable parangon de chant rossinien.
Avez-vous eu un modèle pour ce rôle ?
Je reconnais avoir beaucoup écouté Alessandro Corbelli. C’est un virtuose incroyable du chant syllabique. Mais je me tiens toujours à l’écart de faire « à la manière de ».
Quels sont vos projets tant en terme de prise de rôle que d’engagement après Cenerentola ?
En dehors, si l’on peut dire, de mes activités lyriques personnelles, je m’occupe de plus en plus des Nuits Musicales en Armagnac, un festival qui a plus d’un demi-siècle d’existence, de son Académie lyrique ainsi que de la Compagnie des Cadets avec Emmanuel Gardeil. Nous y montons notamment des spectacles de poche qui nous permettent de diffuser l’opéra auprès de ceux qui en sont les plus éloignés, dans les territoires, mais aussi des ateliers pour les plus jeunes et une saison lyrique en Ehpad par exemple. Avec une conviction commune pour toutes ces missions : l’opéra peut et doit être une porte d’accès à tous les arts. Nous allons bientôt faire une tournée avec la Compagnie des Cadets autour d’un spectacle original se projetant dix ans après la fin de La Flûte enchantée et concentré sur le couple Papageno, Papagena et leurs nombreux enfants. Ce sera un patchwork d’œuvres mozartiennes sur un livret original. Dans mes projets à venir pour cette fin de saison, il y a de nombreux récitals dont un programme de mélodies françaises sur des textes de la Renaissance et du Moyen-Âge, des Dichterliebe, des concerts également avec le quatuor vocal Opale, quelques Requiem de Fauré dans une version originale que nous avons enregistrée avec Hervé Niquet, ou encore un Don Giovanni en préparation pour cet été. J’aurai aussi la chance, la saison prochaine, d’aborder à la fois des rôles de répertoire, mais aussi de recréer et d’enregistrer des raretés, ce qui est particulièrement stimulant et excitant !
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 19 mars 2024