Le retrait d’Hervé Niquet pour les reprises de Norma au Capitole de Toulouse nous vaut la première apparition sur la scène capitoline du chef espagnol José Miguel Pérez-Sierra. Une découverte pour le public toulousain qui ne devrait pas rester sans lendemain si l’on en juge par le triomphe qui lui a été réservé à l’issue de la première du chef-d’œuvre de Bellini.
Rencontre
Classictoulouse : José-Miguel Pérez-Sierra, c’est la première fois que vous vous produisez à Toulouse. Quel est votre actualité ?
José Miguel Pérez-Sierra : Actuellement je suis Directeur musical du Teatro de la Zarzuela à Madrid, Directeur artistique du Festival d’opéra de Cracovie, Premier chef invité de l’Opéra de la Corogne en Galice. Ce qui me laisse finalement un peu de temps pour bouger et pour moi c’est fondamental de m’ouvrir à d’autres cultures et à d’autres orchestres.
A ce jour, votre répertoire est-il plus symphonique que lyrique, ou l’inverse ou à l’équivalence ?
J’ai débuté comme chef lyrique puis j’ai abordé le répertoire symphonique. Mais je crois préférer le répertoire lyrique car il expose à un autre challenge plus complexe que celui qui est proposé au concert. Quand on dirige un opéra, il faut maîtriser un univers extrêmement complexe : musiciens de fosse ou de coulisses, chanteurs solistes, chœurs, mise en scène, danseurs. Le concert réclame d’autres aptitudes, plus analytiques et techniques. Ce que j’aime aussi dans l’opéra c’est le temps de répétition. Au concert il ne dépasse jamais 3 à 4 jours. Pour l’opéra c’est plutôt 3 à 4 semaines. C’est fantastique car de ce fait on peut vraiment peaufiner un projet artistique. Pour répondre mathématiquement à votre question, mon activité se concentre pour les trois-quarts de mon temps au lyrique. Mais j’aime bien diriger des concerts aussi.
En matière lyrique, quels sont vos composteurs de prédilection ?
Mon champ de prédilection personnel s’étend du baroque au contemporain. Ceci étant je voue une véritable passion intellectuelle pour Rossini et sa descendance, Donizetti et Bellini. Avec Puccini et Verdi j’ai noué une relation littéralement viscérale. J’aime beaucoup le répertoire français et je dois dire que je suis toujours très honoré lorsqu’un théâtre français me propose de diriger un opéra français. En fait j’ai quelque 70 opéras à mon répertoire parmi lesquels il faudrait citer aussi des compositeurs comme Britten, Janacek, Tchaïkovski, Dvorak, etc. D’ici la fin de ma carrière je souhaite doubler ce chiffre, à l’instar de chefs comme Levine, Pappano ou Karajan car je trouve passionnant d’aller chercher dans toutes ces œuvres des richesses qui finalement se nourrissent entre elles. Je suis persuadé que toutes les ouvrages lyriques depuis un demi-millénaire sont entièrement connectés entre eux. Comme vous dites en France, on est toujours l’enfant de quelqu’un.

Eugénie Joneau, qui chante Adalgisa au Capitole sous votre direction, me racontait qu’elle a interprété ce rôle pour la première fois à la Fondation Prada de Milan lors d’un concours pour chefs lyriques organisé par Ricardo Muti. Doit-on en déduire que cet opéra a une valeur musicale toute particulière ?
Cela ne m’étonne pas du maestro Muti car c’est un opéra très exigeant pour le chef en ce qui concerne plus particulièrement la relation qu’il doit avoir avec les chanteurs. La partition musicale ne pose pas de problèmes majeurs mais le chef doit être très attentif aux solistes sur le plateau car, vu les exigences vocales, il se doit de les soutenir. Pour évaluer un chef lyrique il vaut mieux lui donner Norma à diriger que Turandot. Il se doit de comprendre la respiration des chanteurs, entendre le vibrato de l’attaque d’une phrase et, à partir de ces informations, il lui revient d’articuler sa direction pour que tout se passe au mieux. Et en la matière Norma est le paradigme du bel canto extrême. Notez que l’on dit bel canto et non pas bel maestro ! Dans ce répertoire il faut laisser son éventuel égo au vestiaire et se mettre à la disposition des chanteurs.

Ces reprises de Norma au Capitole vous proposent deux distributions. Peut-on imaginer que votre direction prendra deux chemins pas tout à fait identiques ?
Je fais deux Norma complétement différentes car je suis toujours très réceptif aux propositions des chanteurs. Cela ne veut pas dire que je n ‘ai aucun concept de l’ouvrage bien évidemment mais je suis ouvert à toute discussion. La solution est toujours organique car le plus ancien instrument est la voix humaine, or celle-ci se base sur la respiration.
Parlez-nous de cette Norma. Est-ce la première fois que vous dirigez cet ouvrage et quelle place lui donnez-vous dans l’œuvre de Vincenzo Bellini et plus généralement dans l’histoire du bel canto ?
C’est la quatrième production de Norma que je dirige. Avec cet ouvrage, Bellini définit parfaitement son style. Avant Bellini, Donizetti et même Meyerbeer, il y a eu Rossini. Si Meyerbeer a choisi de capter l’héritage de Guillaume Tell, Bellini et Donizetti sont les fils du premier Rossini, buffa et seria. Donizetti s’est dirigé ensuite vers le style des Verdi de jeunesse, Bellini, lui, va rapidement s’affranchir du « père » et imposer son propre style. Il est mort à 34 ans et l’on ne peut imaginer ce que sa production serait devenue tant sa maturité pour Norma est stupéfiante. Il avait à peine 30 ans lorsqu’il l’a composée. Wagner adorait Bellini…
Comment abordez-vous le travail avec les chanteurs dans ce répertoire particulièrement exigeant vocalement?
Toujours avec un respect fondamental pour la physique vocale. Cela étant le travail est différent selon que l’on s’adresse à un chanteur ayant beaucoup d’expérience et un autre débutant dans le métier. Dans ce dernier cas, il peut arriver que je sache mieux que lui ce qui va lui être le plus confortable et, s’il veut bien m’écouter, le lui apprendre, lui faire découvrir les secrets d’une partition, les écueils à éviter, et surtout comment les franchir. Avec des chanteurs expérimentés, il suffit souvent juste de proposer quelques nuances qui tiennent de l’artistique pur. Je dois dire que je profite également de leur expérience. J’aime à citer dans ce domaine la connaissance suprême de Mariella Devia en matière de bel canto. Elle m’a beaucoup appris et je me dois de le transmettre aux jeunes générations. J’ai travaillé avec Alberto Zedda dans son Centre de perfectionnement pour jeunes chanteurs et cela m’a ouvert à une énorme connaissance en la matière.
Quels sont vos prochains engagements ?
Je pars à Bâle pour Turandot, puis, au Teatro de la Zarzuela à Madrid, une reprise de La Tabernera del puerto. Suivra la 9e de Mahler avec l’Orchestre philharmonique de Cracovie. Cet été, durant mon Festival lyrique à Cracovie, j’importe, et c’est un grand plaisir pour moi, La Tabernera del puerto, puis après il y aura Cenerentola et une rare reprise de Pierre de Médicis, créé à Paris en 1860, un opéra de Joseph Poniatowski, appelé parfois le Meyerbeer polonais, un compositeur né à Rome en 1816 et mort à Londres en 1873. En parlant de zarzuela c’est un grand bonheur et une grande fierté pour moi d’inaugurer la prochaine saison de l’Opéra de Bâle avec El Barberillo de Lavapiés dans une mise en scène de Christof Loy.

Maintenant que vous connaissez un peu mieux le Théâtre du Capitole, si vous deviez revenir diriger un opéra à Toulouse, lequel choisiriez-vous ?
C’est un théâtre formidable en cela qu’il s’intéresse autant aux artistes qu’au public. Et d’ailleurs il n’y a qu’à voir la réponse de ce dernier. Christophe Ghristi s’est vu dans l’obligation, au regard de l’affluence, d’ajouter une 9e représentation de Norma qui n’est quand même pas une œuvre aussi populaire que Carmen ou Le Barbier de Séville. Je sens à Toulouse le parfum d’une tradition lyrique. Et pour les artistes c’est littéralement enivrant. Pouvoir afficher une représentation supplémentaire de Norma me donne beaucoup d’informations sur l’amour du Capitole non seulement pour l’art lyrique mais aussi pour son public. Je ne connais pas beaucoup de maisons d’opéra capables de faire cela. Pour revenir à votre question, il y a deux opéras que j’aime depuis mon enfance et que je n’ai encore jamais eu l’occasion de diriger : Guillaume Tell de Rossini et Don Carlo de verdi. Ce serait pour moi merveilleux de pouvoir les faire un jour ici, au Théâtre du Capitole.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 21 mars 2025
Photos : Ofelia Matos