Le retour au Capitole du baryton grec Tassis Christoyannis, après l’immense succès qu’il a remporté sur cette même scène dans le rôle de Golaud du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, est l’occasion de rencontrer à nouveau cet artiste dont les prises de rôle s’enchaînent sur la scène toulousaine. Le personnage du moine cénobite Athanaël ne pouvait qu’intimement l’interpeller. Il nous dit pourquoi.
Rencontre
Classictoulouse : Vous avez fait vos débuts au Capitole en mai 2024 dans le rôle de Golaud du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Quel a été votre calendrier depuis cette date ?
Tassis Christoyannis : Tosca, plusieurs Traviata, Aleko, Mme Butterfly et Rigoletto. Que ce soit à Athènes, à Baden Baden ou à Genève mon calendrier a été chargé d’autant que je suis directeur artistique du Théâtre Olympia d’Athènes.
Vous revenez avec une prise de rôle, celle d’Athanaël de la Thaïs de Jules Massenet, un autre opéra français. C’est un répertoire qui vous convient particulièrement ?
Il semblerait ! Je viens de chanter Rigoletto à Athènes avec beaucoup de succès mais je dois dire qu’Athanaël me correspond parfaitement à ce moment de ma carrière et de ma vie. Mes collègues sur cette production me disent que ce rôle me va comme un gant. J’avoue sincèrement que le répertoire français est ma seconde nature aujourd’hui. J’ai beaucoup chanté l’opéra italien et je le chante encore, mais il en est ainsi. D’ailleurs il m’a été proposé l’Œdipe d’Enescu parce que c’est chanté en français, de même que Le Roi Arthus de Chausson, tout comme Jean de Nivelle de Delibes, La Montagne noire de la compositrice française Augusta Holmès. Ces deux derniers ouvrages sont des découvertes du Palazzetto Bru Zane. Cette année j’ai fait avec cette magnifique institution également Mazeppa de Clémence de Grandval et Psychè d’Ambroise Thomas
Comment avez-vous abordé l’étude du rôle d’Athanaël ?
J’ai dans l’oreille deux interprétations qui me séduisent particulièrement, celle de Robert Massard et celle de Roger Bourdin. Bien sûr j’ai entendu Sherrill Mines, Gabriel Bacquier et José Van Dam, mais la prosodie et la luminosité vocale des deux premiers cités sont incomparables. Ils représentent pour moi un véritable absolu pour ce rôle, des références.
Vos prédécesseurs in loco, du moins les plus connus, furent André Pernet entre les deux guerres, un baryton- basse à l’image de Delmas qui a créé le rôle, ensuite René Bianco et le dernier en date Alain Fondary, deux puissants barytons au timbre sombre. L’écriture du rôle est très tendue avec de nombreux mi et fa mais jamais au-dessus et cela sur une orchestration très présente. On pourrait en conclure que si difficulté il y a elle se cache dans la longueur des phrases et la tenue des notes réclamant un contrôle du souffle de haut niveau et une véritable puissance de projection.
Effectivement. Certes il y a un fa dièse facultatif à la fin de l’ouvrage mais c’est le nombre considérable de mi et de fa qui rend cette partition très tendue pour le baryton. Alors, vous avez raison l’orchestre est très présent mais je dois ajouter qu’il n’est jamais trop lourd. Par contre le rôle est très long. Athanaël chante plus d’une heure. C’est énorme ! Et oui, le phrasé requis est large avec de nombreuses envolées sur le « mi » qui ne doivent pas être héroïques mais imposer le personnage en relation avec une spiritualité dans laquelle je retrouve bien mes modèles. N’oublions pas qu’Athanaël n’est pas un guerrier d’armée mais un religieux passionné.
Venons-en au personnage. Athanaël donne l’impression dès le début, lorsqu’il dit avoir connu Thaïs, de vivre dans le déni des démons de la chair qui le hantent depuis.
Nous ne sommes pas tous des moines mais tout le monde vit en permanence avec des conflits intérieurs et des désirs que nous pouvons, ou pas, réaliser. Athanaël nous ressemble, il est un de nous. Dans cet opéra il vit un drame personnel car, s’il est vraiment en communion avec Dieu, il n’arrive pas à nier le côté physique de la relation mentale qu’il a avec Thaïs. Je tiens à souligner qu’il n’est pas question ici d’une attirance corporelle, ce qu’il veut vivre avec la courtisane est différent de la relation entre Mimi et Rodolphe ou entre Manon et Des Grieux. Quand Athanaël dit qu’il aime Thaïs, il ne sous-entend pas qu’il la veut. Il ne lui dit jamais “je te veux”. La relation qu’il souhaite se situe à un tout autre niveau d’un amour complet physique mais aussi spirituel. Il va se rendre compte de son amour pour Thaïs au moment où il la perd. C’est trop tard…
Lorsqu’il prétend partir en mission pour la délivrer, est-il vraiment sincère ?
Oui, car il ignore, c’est mon avis, le danger qui se cache derrière cette mission. Je pense qu’il veut vraiment sortir Thaïs de la spirale charnelle dans laquelle elle est engluée et ainsi la sauver mais aussi sauver Alexandrie de ses péchés. Sa mission est très large en fait.

Pourquoi après avoir littéralement déguisé Athanaël pour la fête que donne Nicias, Myrtale et Crobile prétendent qu’il est jeune et beau alors que ce n’est pas du tout le portrait que l’on se fait de ce personnage ?
C’est le point de vue de deux femmes qui représentent ici le monde de la luxure. Mine de rien, la scène est capitale car elle oppose deux mondes, celui qui a pour vertus cardinales la jeunesse et la beauté et celui que prône Athanaël : le mépris de la chair, l’amour de la douleur et l’austère pénitence. En même temps il représente l’attrait de la nouveauté dans le monde sulfureux de Myrtale et Crobile. La production de Stefano Poda qu’affiche le Capitole situe bien cet ouvrage dans le cadre d‘un drame spirituel et existentiel, avec des images très fortes qui peut-être choqueront une partie du public mais je suis sûr que tout le monde va rêver et se laisser aller par la profondeur et la beauté de cette création.
C’est un personnage fascinant à composer tellement ses propos et son attitude sont ambivalents.
C’est la première fois que je suis sur scène avec cette impression de ne pas jouer un personnage mais d’être ce personnage. Grâce au compositeur et à cette mise en scène, j’ai l’impression de prier du début à la fin de l’ouvrage. Pour moi ce n’est pas un spectacle ou un opéra mais une messe.
Vous faites des études en philosophie et en théologie, cela vous a-t-il aidé à comprendre l’essence même de cet ouvrage ?
Tout à fait ! Imaginez que mon costume dans cette production est exactement le même que celui que je porte à l’église lorsque j’accomplis mes devoirs. Vous comprenez donc combien je peux m’identifier au personnage dans ce que me propose Stefano Poda.
Cet opéra de Jules Massenet fait-il écho avec notre présent ?
Oui, certainement car il existe toujours ce rapport très puissant, parfois conflictuel, entre église et société, entre mondanité et spiritualité, entre désir et réalisation. De même, chacun se livre des combats intérieurs en permanence et suit un parcours intérieur singulier avec plus ou moins de conscience d’ailleurs.

Outre vos fonctions de directeur du théâtre Olympia d’Athènes, quels sont vos projets plus personnels après le Capitole ?
J’enchaîne des Tosca, Traviata et Falstaff. Je vais aborder le rôle de Créon dans la Médée de Cherubini à Epidaure. Ce sera en été 2026 dans une production qui reconstitue à l’identique celle dans laquelle s’est illustrée Maria Callas à Athènes dans les années 60. Et bien sûr tant de concerts avec des mélodies françaises ou grecques.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 19 septembre 2025