Le jeune baryton russe Mikhaïl Timoshenko a fait une première et courte apparition sur la scène du Capitole lors des Nuits d’été aux côtés du ténor Benjamin Bernheim le 17 juillet 2021. Il avait alors 26 ans ! Christophe Ghristi lui a rapidement fait rejoindre la “famille “capitoline, offrant ainsi au public toulousain la chance et le bonheur d’entendre chaque saison l’un des meilleurs barytons lyriques de sa génération. En le distribuant cet automne 2025 dans le rôle-titre de “l’opéra des opéras”, Don Giovanni, le Directeur artistique du Capitole prouve encore une fois la confiance qu’il lui accorde et la pertinence de ses choix passés.
Rencontre
Classictoulouse : Le public du Capitole vous a vraiment découvert avec votre premier Marcello de La bohème en 2022. L’année d’après vous êtes revenu avec un Midi du Capitole et Boris Godounov dans lequel vous chantiez Chtchelkalov. Je serais tenté de dire que cette fois c’est le grand saut puisque Christophe Ghristi vous confie le rôle-titre de Don Giovanni. Mais avant d’en parler, dites-nous quels ont été vos grands rendez-vous depuis votre dernière apparition sur la scène du Capitole ?
Mikhail Timoshenko : Certainement une production à nouveau de La bohème au Covent Garden de Londres car c’étaient aussi mes débuts dans ce théâtre. De plus les représentations étaient données pendant les fêtes de Noël et l’atmosphère sur le plateau était formidable. Ce n’est pas seulement qu’il neigeait sur scène — là, la neige tombait d’une manière particulière. J’étais fasciné comme un enfant. Les flocons artificiels étaient de formes et de tailles différentes ; ils tourbillonnaient, flottaient, dansaient dans l’air sans jamais tomber trop vite. Cette neige tombait pendant que Mimi disait à Rodolfo « Addio, senza rancor », sous cette triste valse. À chaque représentation, j’avais du mal à retenir mes larmes dans les coulisses. J’ai enchaîné avec Papageno à l’Opéra de Paris et à Montpellier. Ce fut aussi un grand moment car l’Opéra de Paris est ma maison lyrique natale, c’est là que je suis né comme chanteur lyrique, dans l’Académie de cette grande institution. Puis il y a eu Leporello à Glyndebourne. Mais, plutôt que d’évoquer tous ces rôles que j’ai chantés et toutes les maisons d’opéra qui ont bien voulu me faire confiance, je souhaite dire que c’est l’ensemble de ces expériences passées qui m’ont préparé à ce Don Giovanni, une œuvre que j’ai beaucoup fréquentée mais pour le rôle de Masetto, qui fut d’ailleurs mon premier rôle à l’Opéra Bastille. Aujourd’hui ce rôle est trop grave pour moi. A vrai dire il l’était déjà à cette époque, aussi je compensais par mon jeu scénique. Je ne saurais oublier tout de même le rôle de Ben-Saïd, l’envoyé du calife, dans Le Tribut de Zamora, le dernier opéra de Charles Gounod, une œuvre grandiose en quatre actes magnifiques représentée à l’Opéra de Saint-Etienne, ainsi que Belcore dans L’Elixir d’amour à Nancy.

Vous nous confiiez lors de notre précédente interview que votre rêve était de chanter Simon Boccanegra, en fait le répertoire verdien.
C’est vrai mais si je parle toujours et encore de Simon Boccanegra c’est parce que je suis attiré par la complexité et la beauté du personnage avant tout. Certes il y a aussi Wozzeck comme rôle écrasant dramatiquement, mais pourrais-je le chanter un jour ? En fait c’est l’intensité émotionnelle d’un personnage qui m’interpelle avant tout.
Votre voix a-t-elle changé depuis deux ans que nous ne vous avons pas entendu ?
Oui, elle a mûri, tout comme moi d’ailleurs. Je crois que je chante plus naturellement, plus libéré. C’est donc dans la manière de l’utiliser que le changement s’est opéré, la façon de la mettre davantage en adéquation avec les personnages. Je suis sûr qu’aujourd’hui je ne chante plus le même Marcello que celui que j’étais ici il y a trois ans maintenant. C’est peut-être quelque chose invisible pour le public mais pour moi c’est diamétralement différent.
Venons-en à ce Don Giovanni. En 2023 vous avez chanté Leporello dans Don Giovanni à Glyndebourne. Quelles différences peut-on noter vocalement entre ces deux rôles ?
Leporello, tout comme Don Giovanni, est un rôle que beaucoup de basses et de barytons peuvent chanter. Cela dit, même si les tessitures de Leporello et de Don Giovanni sont assez proches, ce sont quand même deux voix différentes, car le rôle du valet est plus grave que celui du maître. L’important, c’est de créer un contraste de couleurs entre ces deux voix — scéniquement comme vocalement. Mon expérience personnelle : j’ai adoré incarner Leporello, un personnage qui, en quelque sorte, doit créer Don Giovanni sur scène (c’est la cour qui fait le roi). Mais aujourd’hui, j’ai l’étrange impression que le rôle de Don Giovanni a été écrit pour moi, tant il me va comme un gant.
On serait tenté de dire que Don Giovanni n’ayant aucun air comparable avec ceux des autres protagonistes, il ne peut exister en fait que dramatiquement. Le créateur du rôle, Luigi Bassi, était d’ailleurs connu pour ses talents d’acteur.
C’est vrai sauf que si l’on demande au public de fredonner un air de Don Giovanni, l’opéra, ce sera certainement la Canzonetta du deuxième acte : Deh vieni alla finestra. Il y aura aussi peut-être la chanson à boire : Fin ch’han del vino. Tout le monde est capable de les fredonner. Qui peut faire la même chose avec les somptueux airs d’Anna et d’Elvira, alors que le niveau technique pour les chanter est stratosphérique ? L’air du champagne que nous avons évoqué plus haut est le morceau le plus difficile de toute la partition pour Don Giovanni car il demande un engagement physique extraordinaire. Au moins pour moi. C’est de l’énergie pure qu’il convient de gérer impérativement et ne pas respirer pendant deux minutes ! Heureusement Mozart a prévu une longue pose pour le rôle aussitôt après ! Mais j’avoue bien aimer ce genre de challenge car cela permet de vraiment entrer dans un contact inoubliable avec le public.

C’est la première fois j’imagine que vous travaillez avec un metteur en scène issu du cinéma. Quelles sont les différences d’approche par rapport à un metteur en scène habitué à l’opéra ?
Non, en fait j’ai chanté Masetto dans un Don Giovanni mis en scène par Ivo Van Hove qui, je crois, a réalisé un film. (ndlr : Amsterdam, non distribué). Mais de toute manière le personnage ne demande pas l’engagement d’un Don Giovanni et donc les indications du metteur en scène ne sont pas primordiales pour la tenue générale de l’opéra. Si nous parlons plutôt d’Agnès Jaoui, alors je peux dire qu’effectivement le rapport n’est pas le même. Le rôle de Don Giovanni dans cet opéra est la pierre angulaire de l’ouvrage et je pense qu’Agnès Jaoui a tout préparé bien en amont. Je crois qu’elle a fait un véritable story board, comme au cinéma. Tout en étant très précise elle nous laisse exprimer et exploiter les portraits que nous nous imaginons de nos personnages. Résultat, comme il y a deux distributions, il y a deux spectacles totalement différents. Je suis stupéfait du courage et de l’audace d’Agnès Jaoui qui n’a pas peur de finalement nous faire une telle confiance. En fait cette attitude donne des ailes aux artistes.
Personnellement, quel portrait vous faites-vous de Don Giovanni ?
Je ne sais si le personnage a existé historiquement ou s’il est issu d’une légende de Tirso di Molina qui s’est transformée en mythe urbain. Ce qui est sûr c’est que le donjuanisme existe depuis que le monde est monde. Et bien sûr aujourd’hui encore. Ce personnage aurait pu exister dans le théâtre shakespearien certainement car il touche à l’universel de l’Humanité.
Que ce soit sur scène, en dvd ou au disque, votre référence dans ce rôle ?
Vocalement, certainement Cesare Siepi (ndlr : basse italienne / 1923-2010). Ce qu’il fait est tout juste incroyable. Certes je ne le suis pas dans sa démarche car ce n’est pas ma conception, ni ma voix, mais pour moi il est unique. Je peux citer aussi Gérald Finley (ndlr : baryton-basse québécois né en 1960), Simon Keenlyside (ndlr : baryton britannique né en 1959) et bien évidemment Bryn Terfel (ndlr : baryton-basse britannique né en 1965) sans oublier Etienne Dupuis (ndlr : baryton québécois né en 1979).
Vous revenez au Capitole pour la création française de La Passagère en janvier 2026. Quel est votre calendrier par la suite ?
J’ai la chance d’avoir un calendrier complet quasiment pendant les deux ans qui suivent ce Don Giovanni. Après La Passagère au Capitole, il y aura un Don Pasquale à Nice, une tournée européenne avec l’Ensemble vocal de Philippe Herreweghe et La Passion selon Saint Mathieu de Bach, puis ce Don Giovanni à Montpellier qui est en coproduction avec Toulouse. Je retourne à Glyndebourne pour une nouvelle production d’Ariane à Naxos de Richard Strauss dans laquelle je chante Arlequin.
Quelles sont vos prises de rôle à venir ?
Il y a Dandini dans La Cenerentola, Malatesta dans Don Pasquale ainsi que Paolo dans Simon Boccanegra — tous ces rôles me mènent vers mon grand projet : le rôle de Posa dans Don Carlo de Verdi. C’est mon opus magnum pour cette période !
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 5 novembre 2025

