Sous l’étiquette Erato enfin ressuscitée, Renaud et Gautier Capuçon rendent un bel hommage à Camille Saint-Saëns. Le premier concerto pour violoncelle et le troisième concerto pour violon viennent opportunément démontrer que le compositeur de Samson et Dalila n’a pas seulement brillé par l’intermédiaire de son instrument favori, le piano.
En effet, sa réputation justifiée de virtuose du clavier a longtemps focalisé l’attention du public et des musiciens sur les cinq concertos pour piano que Saint-Saëns a composés à sa propre intention. Sa parfaite connaissance des cordes a donné naissance aux partitions réunies dans cet album.
Renaud Capuçon choisit ici le plus célèbre des concertos pour violon, le troisième en si mineur, partition brillante, certes, mais également pleine d’une sensibilité touchante. Le violoniste s’y investit avec son impeccable technique, mais aussi une musicalité et une émotion admirables. Sonorité lumineuse, engagement expressif animent les trois volets contrastés de la partition. Dès le premier mouvement, l’interprète oppose intelligemment les épisodes brillants et recueillis, tout en donnant à apprécier un lyrisme à la Mendelssohn.
La barcarolle de l’Andantino quasi allegretto, pleine de grâce et d’une émotion sincère précède un final qui ne se limite pas ici à une démonstration de pure virtuosité. C’est en fait la sensibilité de l’interprète qui confère tout son prix à son interprétation, habilement soutenue par l’Orchestre Philharmonique de Radio France que le jeune chef Lionel Bringuier dirige avec finesse et juste ce qu’il faut d’« interventionnisme ».
Composé entre 1872 et 1873, le premier concerto pour violoncelle et orchestre reste légitimement le plus joué des deux. Dès les premières mesures pleines d’urgence, Gautier Capuçon y déploie une vivacité et une énergie parfaitement maîtrisées. Dans ce triptyque en un seul mouvement enchaîné, il sait ménager de tendres plages de méditations et d’attente entre les frémissantes injonctions. Il est aidé en cela par le soutien d’un orchestre partenaire actif, mais peu envahissant.
Entre ces deux pièces célèbres et assez souvent jouées prend place une rareté dont le titre apocryphe (il est dû à l’éditeur), La Muse et le Poète, fleure bon les prémices du XXème siècle. D’abord conçue pour violon, violoncelle et piano, cette « conversation entre deux personnages » a ensuite été orchestrée avec goût par Saint-Saëns lui-même. Il s’agit vraiment d’un duo violon-violoncelle dans lequel les deux instruments solistes dialoguent de manière feutrée et poétique. Si l’œuvre est courte et essentiellement intimiste, elle mérite un autre sort que celui que lui a réservé la postérité. Les deux frères échangent les mélodies nostalgiques imaginées par le compositeur avec une conviction touchante. Le final, sorte de bref échange enflammé, éclaire l’atmosphère nocturne qui domine depuis l’introduction. Cette belle découverte dévoile une image secrète de Saint-Saëns, bien différente de celle, brillante et virtuose, que lui vaut l’essentiel de sa production symphonique.