Le public toulousain a eu le bonheur de découvrir, à l’initiative de Christophe Ghristi, directeur artistique du Théâtre du Capitole, ce contralto québécois lors des reprises de La Femme sans ombre de Richard Strauss en janvier 2024. Elle avait alors 32 ans et interprétait dans cet ouvrage la partie relativement confidentielle d’Une Voix d’en haut. Mais déjà la qualité d’un timbre littéralement sépulcral avait attiré l’intérêt des oreilles les plus attentives. C’est dans un tout autre emploi que Christophe Ghristi l’a de suite engagée, celui de Cornelia, pour l’entrée au répertoire capitolin du Jules César de Georg Friedrich Haendel en février 2025. Spectacle vivant aidant, quelques jours avant le début des répétitions, Rose Naggar-Tremblay se voit confier le rôle-titre suite au retrait de cette production d’Elizabeth DeShong, initialement prévue. Alignement des planètes incroyable, c’est alors que le Capitole l’ovationnait dans Jules César que Rose Naggar-Tremblay enregistrait avec l’Orchestre de Chambre de Toulouse un récital intitulé : Haendel Gourmand, en la salle Terraviva de Venerque, non loin de la Ville rose. Le voici à présent dans les rayons.
Au programme, des extraits d’opéras et du Messie de Haendel et un concerto sur lequel nous reviendrons plus tard.
Place à l’héroïne de ce cd. Rose Naggar-Tremblay a choisi des arias célèbres extraites d’opéras qui ne le sont pas tous. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les créatrices de ces ouvrages furent toutes des altos, contraltos ou mezzo-sopranos célébrissimes en leur temps. Ces œuvres appartiennent à la grande période créatrice de ce compositeur dont le style si particulier conjuguant des influences autant italiennes qu’anglo-saxonnes en fait un musicien que l’on reconnaît rapidement. De Junon (Semele – 1744) à Polinesso (Ariodante – 1735), d’Irène (Theodora – 1749) à Cornelia (Jules César – 1724), de Déjanire (Hercules – 1744) à Bradamante (Alcina – 1735), sans oublier l’incontournable rôle-titre de Serse (1738), seul personnage sélectionné dans ce programme écrit pour un castrat, en l’occurrence le mythique Caffarelli, c’est bien sûr le célèbre Ombra mai fu qui l’illustre, le panorama des émotions est vertigineux. Un seul oratorio figure dans ce disque, en fait l’œuvre la plus jouée du compositeur : Le Messie (1742), en l’occurrence He was despised and rejected of men (il était méprisé et rejeté par les hommes). Au total un véritable catalogue des plus beaux airs confiés par Haendel aux tessitures graves des cantatrices dont il pouvait s’assurer les services. La particularité de la voix de Rose Naggar-Tremblay est de développer une souplesse exemplaire (phrasé, trille, vocalise, ornementation, dynamique) dans les registres parfois redoutés des cantatrices : bas medium et grave. Sa Carmen nous prouve de plus le tempérament et la puissance de projection de cette voix et son Erda de l’Or du Rhin stupéfie par la longueur de son souffle. Car oui, cette spécialiste de chant baroque est également une… wagnérienne qui flirte aussi avec les grands Verdi ! Avec cette cantatrice, fini le vocine qui monopolisent la plupart du temps le répertoire baroque depuis sa renaissance au milieu du siècle dernier. D’ailleurs Christophe Ghristi a retenu la Cleopatra (Claudia Pavone) de son Jules César pour chanter dans la foulée et sur cette même scène… Norma. Et tout à coup, ces héroïnes trop souvent cantonnées à de brillants exercices vocaux deviennent vocalement des êtres de chair et de sang. Ecoutez les mille couleurs dont Rose Naggar-Tremblay pare ses phrases, la puissance impérieuse et éclatante de ses aigus, l’étendue de ses dynamiques. Et tout cela sans pour autant sacrifier au style haendélien. Un régal de chaque instant.

D’autant que l’interprète est ici accompagnée par l’Orchestre de Chambre de Toulouse dans une forme éblouissante de phrasé et de précision dans les attaques. Cet ensemble nous offre également une vraie découverte avec le concerto n° 3 en ré mineur d’un compositeur britannique peu connu du grand public : Charles Avison (1709-1770), une œuvre extraite d’un recueil de 12 Concerti Grossi composés d’après des sonates pour clavecin de Domenico Scarlatti. Pour la petite histoire, Charles Avison n’avait pas de mots assez durs pour critiquer la musique de … Haendel. Joli pied de nez, isn’t it ?
Un regret cependant, la plaquette ne contient pas le texte des œuvres chantées pas plus que le nom des personnages interprétés.
Robert Pénavayre
« Haendel Gourmand » Rose Naggar-Tremblay et l’Orchestre de Chambre de Toulouse – Arion – 1 cd – 16,99€
								
								
								
								