Fascinant dialogue musical que celui que Les Sacqueboutiers offrent aux mélomanes curieux ! Le programme gravé ici par l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse, créé en décembre 2014 et intitulé « Reis Glorios – L’influence de la musique arabe dans la mythologie occitane », illustre l’étonnant dialogue interculturel entre Occitanie et Moyen Orient qui s’est établi à la fin du Moyen Âge. Il met donc en évidence les liens étroits qui se sont tissés, à cette époque, entre l’art des troubadours et celui des civilisations arabes. Il en résulte un album d’une prodigieuse richesse musicale et poétique, révélateur d’un passé culturel que l’on qualifierait aujourd’hui de métissé.
Comme l’indique Jean-Pierre Canihac, directeur artistique des Sacqueboutiers, dans la présentation du livret : « Entre terre d’Islam et terre d’Oc, il n’est pas de fossé infranchissable. Aux temps successifs de sa soumission aux Francs carolingiens puis aux Français de Simon de Montfort, le Midi profond s’est tout naturellement tourné vers l’Andalousie, dont la civilisation brille de tout son éclat. » Une civilisation imprégnée de culture arabe. Le programme musical de cette parution, intitulé Reis Glorios d’après le titre d’une chanson médiévale célèbre, réunit et alterne des pièces traditionnelles d’origine orientale et des musiques issues de grands recueils occitans de cette époque, comme le Manuscrit d’Apt ou le fameux Livre Vermeil de Montserrat. Des partitions signées des grands troubadours de cette riche période : Bertran de Born, Giraut de Bornèlh, Bernard de Ventadorn, ponctuent ce voyage en terre occitane.
La succession des interventions, instrumentales ou vocales, les contrastes ainsi ménagés construisent un corpus d’une surprenante unité dans la diversité. La variété de l’instrumentation suscite des couleurs d’une richesse inouïe.
Alors précisément, quelle est cette instrumentation ? Il y a bien évidemment le valeureux groupe des instruments à vent animé par les musiciens toujours aussi virtuoses et affûtés : Jean-Pierre Canihac (cornet à bouquin), Daniel Lassalle (sacqueboute), Philippe Canguilhem (chalemie et bombarde), Lucile Tessier (doulciane et bombarde). Au luth et à l’oud, Jodel Grasset pratique en outre avec finesse le psaltérion qu’il joue de manière inédite avec deux archets.
A la percussion, Florent Tisseyre ponctue ce déroulement de la riche multitude de ses instruments. Deux interventions remarquables mettent en valeur la virtuosité et l’habileté de ce groupe instrumental. La suite anonyme « Domino », sur le cantus firmus « Benedicam Domino » est l’occasion d’un déploiement fastueux de richesse sonore. Dans le Credo instrumental « Bombarde », extrait du fameux Manuscrit d’Apt, la pratique du hoquet, ces contretemps foisonnants d’une incroyable délicatesse d’exécution, évoque les recherches musicales d’un Pérotin.
La part belle est néanmoins offerte aux invités de marque des Sacqueboutiers qui apportent leur irremplaçable expertise de ce répertoire. Pierre Hamon, ses multiples flûtes et ses boudègues (cornemuses occitanes), réalise des merveilles sonores et musicales, aussi séduisantes qu’inattendues. La participation de Driss El Maloumi, virtuose et poète du oud marocain, incarne ici l’authenticité arabe de tout le programme. Dans la finesse, la retenue, comme dans l’exaltation, il démultiplie l’émotion des pièces qu’il délivre avec générosité. Tout en s’accompagnant de l’oud, Driss El Maloumi chante avec une douceur impalpable. Un sommet d’émotion est atteint dans la berceuse anonyme « Ayour » (La Lune). Le chant intime, subtil, se marie admirablement avec l’accompagnement raffiné de l’oud, ceci jusqu’aux confins du silence.
Deux chanteurs-conteurs associent harmonieusement leurs talents, pourtant si différents et donc parfaitement complémentaires. Renat Jurié, de sa voix naturelle et expressive, dit et chante les textes en occitan. Il est associé au baryton Pierre-Yves Binard au timbre riche et à l’aisance raffinée.
Le programme est complété par quelques extraits du splendide Livre Vermeil de Montserrat. Du subtil « Imperatritz de la ciutat ioyosa » jusqu’au jubilatoire « Ad mortem festinamus », l’esprit souffle sur ces exécutions chaleureuses.
Voici une parution d’une rare inspiration, pleine d’un charme hypnotique qui transporte l’auditeur vers un monde de magie poétique. A découvrir absolument !