On le savait déjà sur les bords de la Garonne, l’enfant de la ville rose n’a plus à démontrer la profondeur de ses impressionnants talents de pianiste. Alors qu’il n’a pas encore trente ans, Bertrand Chamayou n’est plus un artiste à découvrir. Son épanouissement de musicien le conduit sur les sommets où il peut se permettre de tutoyer les plus grands musiciens du moment. Outre l’ampleur de ses qualités d’interprète, on ne peut que souligner l’originalité de ses choix de répertoire. Lors d’un récital donné en septembre 2009 dans le cadre du festival Piano aux Jacobins, au musée toulousain des Abattoirs, il n’avait pas hésité à associer Messiaen, Harvey, Liszt et… César Franck, déjà, jouant en bis l’un des Klavierstücke de Karlheinz Stockhausen.
Voici qu’il consacre son dernier album CD à ce même César Franck dont certains méprisent parfois gentiment la force de l’inspiration. Trois œuvres solistes magistrales y sont couplées à deux flamboyantes compositions pour piano et orchestre. Dans le « Prélude, choral et fugue » qui ouvre l’album, ainsi que dans le « Prélude, aria et final » on retrouve l’autorité, la rigueur de l’élaboration architecturale, la lumineuse précision du toucher, à la fois léger et dense du pianiste.
Les épisodes de ces deux triptyques s’intègrent dans la grande courbe qui souligne à la fois la richesse polyphonique et le lyrisme. Pour le « Prélude, fugue et variation », Bertrand Chamayou choisit judicieusement l’association du piano avec l’harmonium, tenu ici par le brillant organiste Olivier Latry. Touchante nostalgie, dans laquelle les deux interprètes, qui se complètent admirablement, communient avec sensibilité et émotion. Les deux pièces orchestrales bénéficient de la chaleureuse contribution du brillant « Royal Scottish National Orchestra » dirigé avec panache par Stéphane Denève. Dans le trop rare poème symphonique « Les Djinns », d’après Victor Hugo, le piano de Bertrand Chamayou dialogue admirablement avec une orchestration originale qui mène de l’inquiétude angoissée de l’ouverture à une sorte d’apaisement mystique. Enfin, les admirables « Variations symphoniques », plus souvent données au concert, reçoivent ici une lecture d’une grande intensité expressive. Les premières mesures évoquent irrésistiblement le début de l’Andante du 4ème concerto de Beethoven, alors que la joie éclate dans un final éblouissant. On l’aura compris, cette parution renouvelle l’approche d’un grand compositeur et place un interprète dans la cour des plus grands.