L’ensemble Les Passions, Orchestre Baroque de Montauban, sous la direction de son fondateur Jean-Marc Andrieu, et un groupe d’artistes originaires d’Asie ont imaginé un événement musical important de métissage culturel qui a donné lieu à plusieurs concerts publics d’un grand retentissement. Cette manifestation musicale, qui a réuni des musiciens venus d’horizons apparemment très différents et pourtant rassemblés dans une même ferveur, trouve ici son aboutissement discographique.
Le Vent des Royaumes est une création qui perpétue l’aventure de Mirage des Sons du Sud créé en 2012 au Théâtre du Capitole de Toulouse en partenariat avec le Festival Made In Asia. Ce projet multiculturel s’adresse à une formation de 7 musiciens réunissant, autour de membres de l’ensemble Les Passions, trois artistes chinois pratiquant instruments et chants traditionnels : Jiang Nan, guzheng (cithare chinoise sur table), Mandaakhai, chant diphonique et morin khuur (vièle mongole à 2 cordes) et Yang Yi-Ping, percussions. Quatre musiciens issus de l’ensemble Les Passions s’associent donc à ces artistes venus d’Asie. Il s’agit de : Jean-Marc Andrieu, flûte à bec et direction de l’ensemble, Gilone Gaubert-Jacques, violon, Pauline Lacambra, violoncelle, Yasuko Uyama-Bouvard, clavecin.
Cette tentative (ô combien réussie !) de fusion des arts aboutit à un dialogue permanent et fructueux entre deux traditions musicales éloignées qui parcourent ensemble un même chemin. La composition de l’album aboutit à une succession de pièces « savantes » et « traditionnelles » habilement agencées qui n’entraîne aucune rupture, aucun hiatus. Ainsi, ce programme s’ouvre sur une Forlane extraite de la Deuxième récréation de musique de Jean-Marie Leclair, célèbre violoniste virtuose et compositeur français du XVIIIème siècle.
Les membres de l’orchestre Les Passions retrouvent là leur domaine d’excellence, la dialectique du classicisme triomphant. Les musiciens asiatiques se glissent dans la rhétorique du Grand Siècle, adoptant son style et ses sonorités. La grande surprise intervient avec la pièce intitulée 33 de Gobi qui décrit les nombreux paysages de cette région de Mongolie. On admire alors la richesse des timbres instrumentaux de la cithare chinoise (jouée par Jiang Nan), du morin khuur (vièle à tête de cheval, maîtrisée par Mandaakhai), des multiples percussions agitées, frottées, frappées de Yan Yi-Ping. Et surtout, comment ne pas être fasciné par les interventions vocales de Mandaakhai qui pratique en virtuose le chant diphonique. Les techniques de chant de gorge n’ont apparemment aucun secret pour lui. Les sons incroyables qu’il émet couvrent une palette de timbres, un ambitus vocal inouïs au sens propre du terme. Du timbre guttural d’un grave extrême, à celui d’un oiseau siffleur dans l’extrême aigu, la variété des couleurs stupéfie ! La superposition de plusieurs voix par un unique gosier ajoute encore à la richesse de cette technique d’expression.
Les séquences d’extraits de Jean-Marie Leclair alternent avec les pièces traditionnelles. Tous les passages d’une esthétique à l’autre sont animés par d’incroyables interludes assurés par la percussionniste Yang Yi-Ping qui réalise à elle seule un véritable festival de trouvailles musicales. Les accessoires les plus inattendus sont utilisés pour créer de mystérieuses atmosphères… de véritables numéros de bruitages. La pièce chinoise la plus développée, Rhapsodie, basée sur des mélodies traditionnelles du peuple Miao, évoque irrésistiblement le voyage. Un traditionnel mongol, intitulé Yack noir, conclut ce programme sur une impressionnante évocation réunissant l’ensemble des musiciens, dans une sorte d’hymne à la fraternité par la fusion des arts. Un beau geste plein d’espoir en ces temps d’intolérance…