12 septembre 1213 : la ville de Muret, fière citadelle occitane, est le théâtre de la bataille qui s’est déroulée dans ses murs et a endeuillé toute la région. La victoire des armées de Simon de Montfort sur la coalition du comte de Toulouse Raymond VI et du roi Pierre II d’Aragon sonne le glas du monde cathare et de la société occitane médiévale. Les événements tragiques de cette époque, dont la bataille de Muret, ont inspiré à plusieurs troubadours une suite de poèmes en vers réunis dans un recueil baptisé « La chanson de la croisade albigeoise ». L’épisode spécifique de la bataille a ainsi fait l’objet d’un étonnant poème épique, rédigé dans l’urgence de l’événement par un troubadour resté anonyme. C’est ce poème qui a inspiré au compositeur Patrick Burgan l’épopée lyrique créée en l’église Saint-Jacques de Muret, le 12 septembre 2013, 800 ans exactement après les faits par les ensembles Les Sacqueboutiers, Scandicus et Quinte et Sens.
Musiciens, chanteurs, récitants ont ainsi uni leurs talents et leur enthousiasme sous la direction du compositeur lui-même pour porter sur les fonds baptismaux une œuvre forte, ardente et émouvante qui devrait faire date. Dans une démarche originale, Patrick Burgan a conçu son œuvre pour deux récitants, un ensemble vocal et un ensemble d’instruments anciens en usage à l’époque des événements illustrés ici, en l’occurrence l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Les Sacqueboutiers : cornet à bouquin, sacqueboute, chalemie, dulciane et percussions. Les voix déclamées de Rénat Jurié et Pierre-Yves Binard apportent leur sensibilité et leur sincérité à la partie vocale de cette « Epopée lyrique », telle qu’elle est qualifiée par le compositeur.
Enregistrée lors de sa présentation publique le 18 mai 2015 dans la grande salle d’Odyssud-Blagnac, cette exécution rend bien compte de l’impact dramatique de l’œuvre. Dès les premières interventions, c’est dans une optique très théâtralisée que se déroule cette épopée. Les deux récitants, situés de part et d’autre de la scène sonore, s’emparent du texte et le déclament à la manière des mélodrames musicaux. L’un d’eux, Rénat Jurié, dit le texte original occitan. L’autre, Pierre-Yves Binard, énonce sa traduction française.
L’originalité réside dans le fait que les deux textes sont déclamés simultanément, se superposent. L’effet dramatique est saisissant. L’oreille de l’auditeur fait aisément son choix. Si tout n’est pas distinctement audible, en particulier dans le fracas des batailles, il suffit que quelques mots émergent pour que passe l’émotion qui domine toute cette exécution. Aux instruments virtuoses auxquels Patrick Burgan confie une partition exigeante et intense, se joignent les ensembles vocaux Scandicus et Quinte et Sens, là aussi traités de manière inhabituelle. Les chanteurs n’ont aucun texte à dire. Leurs voix complètent celles des instruments de leurs timbres et des onomatopées que la partition leur réserve. Un peu à la manière du chœur dans le célèbre ballet Daphnis et Chloé, de Maurice Ravel. Le lien entre instruments et voix n’en est que plus fort. La direction précise et attentive de Patrick Burgan permet cette fusion dramatiquement assumée.
Les cinq parties de l’épopée, basées sur les laisses 137 à 141 de « La chanson de la croisade albigeoise », illustrent les divers épisodes de la bataille. Le 1er assaut prépare l’auditeur. Montfort dresse un portrait de l’assaillant, alors que Le 2ème assaut narre le déroulement des préparatifs. La quatrième partie, La Bataille, représente le cœur de l’épopée. La musique s’y déploie avec éclat comme dans les célèbres batailles composées du Moyen Âge à la Renaissance, mais avec un langage du XXIème siècle. Enfin, l’épisode final, intitulé Le deuil, touche profondément par son mélange de retenue et de révolte.
Les musiciens et les chanteurs s’investissent dans cette progression avec une conviction évidente. L’impact sur l’auditeur démontre que la musique d’aujourd’hui peut parfaitement trouver sa place auprès de tous les publics lorsqu’elle s’appuie sur la sensibilité. Souhaitons à cette œuvre tout le succès qu’elle mérite.