Tout l’œuvre d’un compositeur romantique méconnu sur un seul CD, cela a de quoi surprendre. Deux grands musiciens s’associent pour rendre justice à ce trop rare Julius Reubke, disciple de Franz Liszt, disparu à l’âge de 24 ans, ce qui explique le petit nombre de partitions de ce jeune génie. La pianiste lithuanienne Mūza Rubackytė et l’organiste français Olivier Vernet réhabilitent avec panache les deux volets de ses compositions.
Dans la triste liste des créateurs trop tôt disparus, aux côté de Mozart ou encore Schubert, Juan Crisostomo Arriaga, Guillaume Lekeu et donc Julius Reubke font figure de benjamins. Le temps ne leur a pas été accordé pour leur permettre de s’épanouir vraiment.
Fils d’un facteur d’orgues, le jeune Julius, né en 1834, étudie d’abord le piano au conservatoire de Berlin. Recommandé par Hans von Bülow, il s’installe à Weimar en 1856 pour y étudier avec Franz Liszt dont il devient l’un des élèves favoris. A peine deux ans plus tard, il succombe à la tuberculose. A son décès, Liszt écrit une lettre de condoléances à son père : « Personne ne peut savoir plus intensément combien la perte de votre Julius est grande pour l’art sinon celui qui a suivi avec admiration ses nobles, constants et talentueux progrès de ces dernières années et qui lui gardera à jamais son amitié ».
L’album enregistré de cette intégrale comporte donc les deux volets de l’œuvre de Reubke, celui du pianiste et celui de l’organiste. La Grande Sonate en si bémol majeur, la Mazurka en mi majeur et le Scherzo en ré mineur constituent les trois seuls opus consacrés au piano. Mūza Rubackytė s’en empare avec une énergie, une autorité et une musicalité exemplaires. Les premières mesures de la Sonate témoignent d’un héroïsme, d’une grandeur qui ne renient pas la filiation lisztienne. Les trois volets de cette partition sont ardemment défendus par l’interprète sur son piano Fazioli dont la sonorité se révèle étrangement proche de celle d’un orgue. La Mazurka, en revanche, mais aussi le Scherzo bénéficient de l’élégance et de la sensibilité héritées de Frédéric Chopin, tout en conservant leur propre originalité.
L’autre face, celle de l’organiste, est brillamment illustrée par Olivier Vernet. La vaste Sonate pour orgue en ut mineur se veut illustration du « Psaume 94 » dont les versets dictent la forme et le caractère de chacun des trois mouvements. Choisissant l’orgue Ladegast/Eule de la Nikolaskirche de Leipzig, l’interprète confère tout son relief et l’étonnante variété expressive de son écriture, de la méditation initiale à la grandeur épique. Le Trio en mi bémol majeur et surtout l’Adagio en mi mineur concluent ce panorama exhaustif dans un recueillement touchant.
Une découverte pour beaucoup qui vaut largement le détour.