La lecture de la plaquette qui accompagne le premier album d’Huw Montague Rendall (HMR) donne le ton. En une brève mais dense communication, ce jeune baryton flirtant avec la trentaine se lance dans une question frisant la métaphysique et, plus simplement, se pose et nous pose la question de savoir ce que nous faisons sur Terre. Vaste sujet n’est-ce pas ? Surtout à cet âge-là ! L’écoute du disque nous donne un début d’explication. En fait, Warner vient de mettre la main non pas sur un chanteur mais sur un artiste, un vrai.
Ce que nous fait entendre cet enregistrement, sur le strict point de vue vocal, relève de la tessiture du kavalier baritone, comme disent nos voisins allemands, c’est à dire, et pour l’instant bien sûr, une voix entre celle du baryton lyrique et celle du baryton dramatique. Ce qui ouvre la porte à un répertoire très large. C’est d’ailleurs ce que nous propose ce jeune chanteur, fils de la mezzo Diana Montague et du ténor David Rendall. C’est donc un enfant de la Blanche Albion qui arrive sur nos platines mais que déjà de grandes scènes internationales ont eu le bonheur d’applaudir.
Une carte de visite ne se discute pas, c’est un peu comme un premier long métrage. Par expérience nous savons qu’il est unique, parfois très émouvant, dit beaucoup de choses quitte à contenir quelques scories. Mais laissons le 7e art pour revenir sur cet album intitulé Contemplation. D’Ambroise Thomas à Gustav Mahler en passant par Wolfgang Amadeus Mozart, il embrasse plus de deux siècles de créations lyriques. C’est Hamlet et le monologue du rôle-titre qui ouvre le bal. Etre ou ne pas être… HMR nous dit là, d’emblée, le « pourquoi » de ce programme. Il alterne immédiatement les grands élans vocaux avec des demi-teintes vertigineuses de profondeur. Il est plus que temps de se caler dans son fauteuil. Le voyage n’est pas pour quelque happy few en mal de nouveauté uniquement. Suit l’air que Charles Gounod écrivit pour son interprète londonien de Valentin lors d’une représentation de son Faust sur les bords de la Tamise en 1864, Charles Stantley. Ce dernier chantait alors, entre autres rôles, celui de Germont dans La traviata verdienne. Ce qui en dit long sur sa voix. Cet air, archi-connu, contient deux phrases en bas de tessiture qui posent toujours problème à certains chanteurs. HMR se heurte à cette difficulté inhérente à sa réelle tessiture. Mais voilà, l’artiste va sublimer cette fameuse invocation en lui donnant, et avec quelle virtuosité d’intention, toute la fougue du guerrier partant au combat et la tendresse du frère abandonnant sa sœur aux bons soins du Seigneur. Le phrasé est là, ample et généreux. Le timbre solaire. La technique foudroyante. Tout cela nous allons le retrouver dans l’air de Fritz extrait du chef-d’œuvre d’Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt. Comment résister à l’ineffable triple piano concluant jusqu’au vertige cet air sublime évoquant tout à la fois le désir, l’espoir, les souvenirs, le rêve. Les Chants d’un compagnon errant, de Gustav Mahler, qui suivent, sont peut-être l’acmé de cet enregistrement. Terriblement tendus en terme de tessiture, ils trouvent dans ce baryton un interprète incroyable de justesse, de sensibilité, d’émotion. Virtuose dans l’alternance des appuis vocaux utilisés et dans les couleurs convoquées pour ce cycle, HMR enfonce une lame brûlante dans la discographie pourtant légendaire de ces Lieder eines fahrenden Gesellen. A l’heure où nous publions, HMR s’apprête à faire son premier Billy Budd à Vienne. Dans sa grande scène du deux : Look ! Through the port, il démontre combien il a tout pour être le grand Billy des années à venir. Son anglais est, évidemment, irréprochable et l’émotion qu’il met dans ce bouleversant adieu à la vie est de celles qui s’incrustent au plus profond de l’âme.
Arrive le bouillant Mercutio et son Scherzo de la reine Mab, extrait du Roméo et Juliette de Charles Gounod, rôle qui l’a fait connaître à l’Opéra de Paris la saison passée. Cet air virtuose confirme bien qu’un vrai talent d’artiste peut en faire « quelque chose », d’autant qu’il passe souvent quasi inaperçu et qu’il n’attire que peu d’applaudissements. La grande scène du Comte Almaviva extraite des Noces de Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart : Hai gia vinta la causa, surprend car ici l’interprète se laisse entrainer par son tempérament et fronce un peu trop les sourcils, abandonnant à des épaississements de timbre toute la noblesse, même blessée et outragée, du Comte. Le tempo ultra rapide pris ici par Ben Glassberg, à la tête de l’Opéra Orchestre Normandie Rouen, au demeurant parfait par ailleurs, précipite le baryton dans des accents un brin excessifs. La Sérénade de Don Giovanni qui suit le retrouve dans une musicalité qui lui sied beaucoup mieux. Le délicieux duo de La Flûte enchantée, au cour duquel Papageno rencontre sa Papagena (superbe, presque… trop, Elisabeth Boudreault !) dévoile la vis comica du jeune homme qui enchaîne avec le grand soliloque de Billy Bigelow extrait du 1er acte du Carousel de Richard Rodgers, soliloque au cours duquel Billy basculera du côté sombre de sa destinée. Encore une fois la maitrise parfaite de la langue de Shakespeare est indispensable à la prosodie de ce morceau célèbre. HMR se glisse dans ce personnage complexe et les rythmes propres aux comédies musicales américaines avec une aisance confondante. Citons, dans ce programme, sans pour autant avoir été impressionné, La Chanson triste d’Henri Duparc et l’air de Beaucaire extrait de l’ouvrage éponyme d’André Messager. L’album, enregistré en 2023, se termine, et ce n’est pas un hasard, par le quatrième, sublime et ultime des Rückert Lieder de Gustav Mahler : Ich bin der Welt abhanden gekommen (Je me suis détaché du monde), en somme à lui seul tout un programme et l’affirmation d’un projet discographique ambitieux et cohérent tenu haut la main.
Un grand est né, incontestablement !
Robert Pénavayre
« Huw Montague Rendall – Contemplation » ERATO – 1 cd – 17,99€