Le deux-cent cinquantième anniversaire de la naissance de Beethoven voit fleurir quelques très belles parutions discographiques. Ce nouvel enregistrement des deux trios pour violon, violoncelle et piano les plus emblématiques de cette formation, le n° 5 dit « Les Esprits » et le n° 7 « L’Archiduc » fait partie des plus abouties. Trois interprètes aussi complices que grands musiciens en sont les acteurs admirables.
Cette parution suit les cycles des Sonates pour violon et celles pour violoncelle précédemment enregistrées par Renaud Capuçon et Gautier Capuçon avec le pianiste Frank Braley. Voici donc les trois amis réunis ici pour ces deux chefs-d’œuvre absolus de la musique de chambre de Beethoven que sont ces deux trios. La complicité, la complémentarité de ces trois talents individuels trouve ici un terrain d’échanges idéal. Chacun des interprètes se prête au dialogue, avec un sens aigu du discours commun.C’est en 1808 que Beethoven dédia à la comtesse Erdödy ses deux trios de l’opus 70, dont ce fameux Trio « Les Esprits » (« Geistertrio » en allemand, parfois traduit « Trio des fantômes » !). Composée en même temps que les Cinquième et Sixième Symphonies, cette partition surprenante et contrastée doit son titre ambigu au climat étrange de son mouvement central.
Les trois interprètes abordent l’unisson initial de l’Allegro vivace e con brio avec ardeur et détermination. Les nuances, staccato legato, aussi bien des cordes que du piano, animent tout ce mouvement, lui confèrent une vitalité impressionnante, un profond lyrisme. Le Largo assai, tout imprégné d’une atmosphère de mystère, déroule sa complainte « fantomatique » sans exagération, mais plutôt comme une inquiétante méditation. Le final apporte une lumière chaleureuse à laquelle contribue chaque interprète avec un sens étonnant du dialogue.
Créé en 1814 à Vienne par Beethoven au piano et ses amis Schuppanzigh et Linke aux cordes, le Trio n° 7 opus 97porte un titre célèbre. Baptisé « L’Archiduc », il est dédié à Rodolphe de Habsbourg, frère de l’Empereur François II. Néanmoins, cette partition ne possède rien d’empesé ni de révérencieux. Beethoven possédait pour cela trop d’indépendance d’esprit, lui qui n’hésitait pas à proclamer : « Il y a eu et il y aura encore des milliers de princes. Il n’y a qu’un Beethoven ! »
Particulièrement développée, cette œuvre majeure s’ouvre sur un thème volontaire mais serein que le piano de Franck Braley éclaire d’une intériorité pleine de retenue. Rejoint par ses complices, il anime ce premier volet avec finesse. Le Scherzo qui suit déroule son si bémol majeur tout empreint d’une grâce légère et souriante, un temps voilée par son trio en clair-obscur. L’Andante à variation constitue un sommet de l’art du compositeur pour ce type de structure. Les trois participants s’y épanchent avec un mélange de douceur, d’écoute et d’empathie réciproque. L’enchaînement stratégique vers le final Allegro est ici réalisé avec une fébrilité souriante. Un rythme permanent et lumineux anime tout ce mouvement plein de joie et d’exubérance. Un bonheur au-delà des souffrances qui pourtant affectaient plus que jamais Beethoven à la fin de sa vie.
Espérons que ces mêmes interprètes enregistreront les cinq autres Trios.