Disques

Au-delà des siècles

Ni crossover complaisant, ni tiède medley, voici une innovation musicale créative et rafraîchissante. L’ensemble de cuivres anciens de Toulouse Les Sacqueboutiers adopte, depuis quelques décennies, une démarche faite de rigueur et d’imagination dans la découverte d’un répertoire riche et foisonnant de musique ancienne. Dans ce nouveau programme hors norme, plusieurs fois présenté en public avec un immense succès, ces musiciens essentiellement rompus au style des Renaissances italienne et allemande s’associent au prestigieux quintette de Jazz de Philippe Léogé…

Jazz et Pavane, peuvent-ils vraiment cohabiter ? L’idée paraît un peu folle. Associer des musiques que séparent quatre siècles d’évolution, cela tient vraiment du challenge. Et pourtant c’est bien ce que Les Sacqueboutiers tentent et réussissent avec panache. Musique ancienne et Jazz semblent a priori développer des styles, des sonorités, des pratiques instrumentales bien éloignés. La chaîne subtile mais solide qui relie la musique de la Renaissance au Jazz a pour nom « improvisation » !

Appelée ornementation ou diminution, pour la première, l’improvisation constitue la sève créatrice du Jazz. Alors pourquoi ne pas mêler les deux et demander aux jazzmen leurs commentaires musicaux sur les « standards » de la musique ancienne ? Le grand jazzman Philippe Léogé a alors conçu une série de grilles d’improvisation basées sur les motifs issus du très riche monde de la musique ancienne. Chaque pièce interprétée naît ainsi d’un original, joué par les musiciens de l’ensemble Les Sacqueboutiers, Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Yasuko Uyama-Bouvard, orgue et clavecin, et Florent Tisseyre, percussions, tous experts en matière de musique ancienne et en particulier en ornementation dans le style Renaissance. Le relai est alors pris par Philippe Léogé au piano et ses compères, tous virtuoses impressionnants dans leur domaine : Claude Egéa, trompette, Denis Leloup, trombone, Jean-Pierre Barreda, contrebasse et Fabien Tournier, batterie et percussions.

Comme un hymne à la liberté du jeu musical, la fusion des deux mondes s’avère particulièrement jubilatoire. Une étonnante « Bombarde », Credo de la messe du manuscrit d’Apt, datant du XIVème siècle, ouvre cet album sur une sorte de musique d’avant-garde, truffée de contretemps, de hoquets, sur des harmonies pleines d’audace que les jazzmen triturent avec délice ! Une série de duos instrumentaux paraphrase ensuite les fameuses « Recercatas » de l’Espagnol Diego Ortiz, actif en plein XVIème siècle. Diminutions et improvisations délirent avec nostalgie sur le villancico de Juan Vasquez « Con que la lavaré ». Instruments anciens et modernes conjuguent leurs sonorités complémentaires avec gourmandise.

Le duo clavecin-piano (avec intervention de l’orgue) convient parfaitement à la stupéfiante « Toccata settima » de Michelangelo Rossi dont Yasuko Uyama-Bouvard s’est fait une spécialité. Son chromatisme exacerbé donne à Philippe Léogé les outils d’une improvisation débridée. Débridé aussi, le duo entre le cornet et la trompette de « Su la Cetra amorosa », de Tarquinio Merula, l’est assurément ! Comme une dispute entre les deux instruments que l’emballement ébouriffant de la batterie finit par calmer…

Après les très belles improvisations sur la passacaille et la ciaccona d’Andrea Falconiero, tous les musiciens se retrouvent autour de la célèbre ensalada intitulée « El Fuego », de Mateo Flecha, l’un des tubes incontournables des Sacqueboutiers. Les instruments miment les voix dans un jeu éblouissant de questions-réponses.

Voici qui devrait passionner aussi bien les amoureux de musique ancienne que les fans de jazz, mais aussi ceux de Claude Nougaro dont « Le Jazz et la Java » a inspiré l’entreprise. A noter la belle originalité des illustrations de l’album, confiées au dessinateur et auteur de BD Jean-Christophe Chauzy.
Robert

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