Enregistré en avril 2017, l’incontestable monument de l’art lyrique français dispose ici d’une distribution hors pair, et d’un maître d’œuvre d’exception en la personne du chef d’orchestre américain John Nelson. A la tête de cette gigantesque phalange autant orchestrale que chorale, il nous donne enfin une version de cet ouvrage d’une légitimité sans détour.
Cette production, réalisée à Strasbourg, en partie en direct, en partie en studio, dans la foulée du concert public, met au premier rang le Chœur de l’Opéra national du Rhin, le Badischer Staatsopernchor, le Chœur et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Nous entendons-là une véritable leçon « berliozienne », tant en termes de phrasé, de couleur, de dynamique, de musicalité aussi.
Mais Les Troyens, ce sont aussi des chanteurs qui doivent, outre les difficultés vocales, délivrer une prosodie parfaite. Combien, dans les précédentes versions, pour aussi célèbres soient-ils, nous ont fait parfois sourire…
Ici, il n’en est rien. Francophones aguerris, chantant quasiment tous leur rôle pour la première fois, ils détaillent le texte virgilien revu par Berlioz avec une franchise de ton sans appel. Bien sûr, commenter des Troyens, c’est aborder d’entrée le rôle d’Enée. Les derniers en date étaient plutôt héroïques.
Ce n’est pas le cas ici car le ténor américain Michael Spyres est avant tout un spécialiste de Rossini et de Mozart. Ce qui ne l’empêche pas de phraser le prince troyen avec un legato stupéfiant de tenu, ne faisant au passage qu’une bouchée du fameux contre-ut de son grand air qui en a fait tant trébucher. Et puis il y a ces deux personnages féminins que toute cantatrice veut mettre à son répertoire. Par ordre d’apparition, Cassandre bien sûr, ici la Québécoise Marie-Nicole Lemieux, tragédienne intense à la ligne vocale opulente, même si quelques aigus paraissent se rétrécir. Didon, c’est l’Américaine Joyce di Donato, tour à tour sensuelle et explosive, peut-être la moins idiomatique, mais quel engagement. Ecoutez son dernier acte, c’est du feu ! Les Troyens c’est aussi une cohorte de seconds rôles dont les interventions sont tout simplement capitales. Il en est ainsi du poète tyrien Iopas, confié au ténor français Cyrille Dubois, un ténor qui nous distille à la perfection son air du 4ème acte : Ô blonde Cérès. Un modèle de musicalité. Il en est de même de son compatriote ténorisant, Stanislas de Barbeyrac, Hylas vertigineux de poésie dans son air du 5ème acte : Vallon sonore. Encore un grand moment. C’est à l’aune de ces courtes mais intenses interventions que l’on peut juger de l’accomplissement d’un tel projet discographique. Ces deux jeunes chanteurs ne sont pas les seuls bien sûr, il faut citer aussi, entre autres, Stéphane Degout (Chorèbe), Philippe Sly (Panthée), Nicolas Courjal (Narbal), Marianne Crebassa (Ascagne), Hanna Hipp (Anna un rien en retrait par rapport à l’ensemble).
Un monument qui s’inscrit en tête de discographie.
Article mis en ligne le 16 février 2018