Mauricio Wainrot, chorégraphe argentin connu internationalement et dont nous avons pu voir déjà à Toulouse, « Estación de Buenos Aires » et le « Sacre du Printemps », revenait sur la scène de la Halle aux Grains avec « La Tempête » qui faisait son entrée au répertoire de la Compagnie.
Cette dernière pièce de Shakespeare, son testament comme le souligne le chorégraphe, est une œuvre foisonnante, mélange de réalité et de fantastique, peuplée de rois, de sorcières, d’esprits et de gnomes. La gageure était donc de taille. Mauricio Wainrot n’a, à notre sens, pas complètement réussi son propos. Le spectateur s’il n’a pas relu l’œuvre récemment, a certainement eu quelques difficultés à se situer dans l’action. Prospéro duc de Milan, plus préoccupé de lectures et de sciences que de politique, s’intéresse peu à la gestion de son duché. Et cette situation va permettre aux thèmes de prédilection du dramaturge anglais de se développer. La soif de pouvoir d’Antonio, frère de Prospéro, le mènera aux portes du fratricide. Il précipite son frère et Miranda sa nièce dans les flots. Mais, bien sûr, la magie aidant, Prospéro survivra, se rendra maître de l’île où le destin l’a conduit, triomphera de Sycorax la sorcière, fera de Caliban, le fils difforme de cette dernière, son esclave et enfin, déchaînant une tempête, fera naufrager son frère et sa cour. Mais si l’on peut de prime abord penser à la vengeance, c’est le pardon qui l’emportera. Un « Tout est bien qui finit bien » pour rester dans la note shakespearienne.

Le ballet La Tempête de Mauricio Wainrot, d’après Shakespeare

Le ballet souffre d’un certain manque de clarté dans le propos. La musique minimaliste de Philippe Glass, compositeur de prédilection du chorégraphe, répétitive, obsédante, convient parfaitement à l’objectif de Mauricio Wainrot, mais n’aide pas à la compréhension. Enfin, ce ballet d’une heure et demie sans entracte, est un peu long, chose qu’ont souligné plusieurs spectateurs à la fin du spectacle.

Mais qu’en est-il des interprètes ? Quoi que puisse laisser penser ce qui précède, il y a eu dans cette soirée, d’excellentes choses. En particulier les scènes d’ensemble, où nos danseurs ont démontré une fois de plus leurs qualités. Occupant l’espace dans une parfaite synchronisation, ils se jouent avec brio des difficultés chorégraphiques, souvent acrobatiques. Valerio Mangianti campe un Prospéro plein de noblesse, silhouette élégante qui fait danser ses longues mains pour inscrire dans l’espace toutes ses formules cabalistiques. A ses côtés, María Gutiérrez est une Miranda plus vraie que nature. Cette danseuse a un extraordinaire pouvoir de mimétisme : vive, virevoltante, expressive, elle est Miranda (comme elle a été Alice), elle a 16 ans, et elle s’émerveille de tout. Son pas de deux (appelons-le ainsi tant sa chorégraphie rappelle la grammaire classique) avec Demian Vargas est certainement l’un des moments les plus beaux, les plus émouvants de la soirée. Demian Vargas s’affirme, au long de la saison, comme l’un des danseurs les plus prometteurs de la troupe. Le rôle de Miranda était dansé en alternance par Maki Matsuoka qui, si elle n’atteint pas encore l’expressivité théâtrale de María Gutiérrez, est un elfe à la technique parfaite. Le chorégraphe a choisi de représenter Ariel, esprit de l’air, sous la forme de quatre personnages : une danseuse (Juliette Thélin et Tatyana Ten en alternance) et trois danseurs : Davit Galstyan, Hugo Mbeng et Takafumi Watanabe. Juliette Thélin y est prodigieuse de musicalité, de grâce, de lyrisme, elle est un souffle, une brise qui caresse Prospéro. Tatyana Ten nous apparaît plus espiègle et primesautière.

Le ballet La Tempête de Mauricio Wainrot, d’après Shakespeare

Quant aux trois garçons, ils rivalisent de technique, nous régalant de sauts vertigineux, chacun dans son style (les révoltades d’Hugo Mbeng !!). Dimitri Leshchinskiy, méconnaissable sous son maquillage, est le « méchant », Antonio frère de Prospéro. Il fait preuve d’une autorité sur scène, d’une noirceur, qui nous démontrent les talents d’acteur qui s’ajoutent à ceux de danseur. Il nous faudrait citer ici tous les rôles : Paola Pagano, superbe épouse d’Antonio ; Ina Lesnakowski la blonde gracile et Juliana Bastos la brune piquante interprétant tour à tour la mère de Miranda ; Vladimir Bannikov, en Alonso ; Jéremy Lédier et Guillaume Ferran, bouffons inénarrables, Pascale Saurel, trop belle pour nous faire croire à la malfaisance de Sycorax la sorcière. Mais il nous faut souligner ici la prouesse de Kasbek Akhmedyarov dans le rôle de Caliban, fils difforme et monstrueux de Sycorax. Il semble être exempt d’ossature. Son corps ondule, se distend, se disloque. Ses mains sont animées d’une vie propre. Et pourtant cette forme désarticulée nous offre des attitudes, des sauts qui nous rendent l’image du danseur superbe que ne cesse d’être Kasbek. Et son expressivité que nous avions déjà soulignée dans les Nine Sinatra Songs, se manifeste à nouveau face au charme de Miranda.

Les costumes magnifiques, palette de couleurs sourdes et pourtant brillantes, ainsi que le décor, trois énormes souffleries en fond de scène, sont l’œuvre de Carlos Gallardo (hélas disparu aujourd’hui), complice de toujours de Mauricio Wainrot.

En résumé, une soirée quelque peu inégale, et qui, comme nous l’avons dit, aurait supporté plus de concision.

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