Danse

Un autre Casse-Noisette …

De Londres à New York, de Boston à Bruxelles, et dans toute la géographie hexagonale avec le ballet de Moscou, un petit pantin de bois promène sa magie quand arrive le temps de Noël. Casse-Noisette est et a été de tous temps le prince incontesté des joyeuses Fêtes de décembre. Né dans l’imagination de E. T. A. Hoffmann, son Casse-Noisette et le Roi des rats a été adapté par Alexandre Dumas, version qui avait su séduire Ivan Vsevolojski et Marius Petipa lors de la création, le 6 décembre 1892, au Théâtre Mariinski de St Pétersbourg, sur la superbe musique de Piotr Tchaïkovski.

Juliette Thélin © David Herrero

Kader Belarbi reprenait pour ce Noël 2019 sa version de cette œuvre, créée par le Ballet du Capitole en décembre 2017. Plus proche du conte d’Hoffmann que de l’adaptation de Dumas, sa vision nous entraîne dans un tout autre monde que l’habituel pour ce ballet.

Clara est devenue Marie et vit, non pas dans la maison bourgeoise de ses parents, mais dans un pensionnat où des enfants, orphelins la plupart, attendent, sans trop y croire, le miracle de Noël, sous la férule de la Haute Surveillante. Drosselmeyer, devenu ici le Directeur de cette institution, sera le Deus ex machina qui fait naître le merveilleux dans cet univers assez sombre où les enfants sont enfermés. Mais il n’est pas ici le personnage inquiétant, souvent montré, mais plutôt débonnaire et bienveillant qui distribuera des joujoux, pourtant vite repris et enfermés derrière « l’entre-sort », la grande porte, qui sera celle des rêves.

Mais les enfants, même orphelins, même s’ils ressentent ce sentiment d’abandon, restent des enfants toujours prêts à s’émerveiller et à tenter de folles aventures. Et c’est ce que va vivre la petite bande, le Club des cinq jouets (joli clin d’œil à l’enfance des parents !).

Natalia de Froberville et Ramiro Gomez Samon © David Herrero

Les orphelins ont pris l’apparence des jouets qui leur ont été offerts l’espace d’un moment. La poupée Coccibelle, Lady Chatellaine, le Criquet à lunettes, le Robot Spoutnick et le Clown Bidibulle, sous la conduite de Marie et de son Casse-Noisette commencent leur voyage initiatique en parcourant des jardins chimériques dans des contrées improbables, à la recherche d’un bras pour le Casse-Noisette blessé après son combat contre la… Reine des Arachnides préférée par le chorégraphe au Roi des Rats.

Et c’est le déroulement d’étonnantes rencontres : des Soldats rutilants, du plomb à la semelle de leurs bottes, des Grenouilles et des Crapauds espagnols aux pieds palmés, un Calife à mille pattes et sa cour de bulles, des Frères Siamois, d’adorables Poupées russes, des Polichinelles et un Bonhomme de neige. Drosselmeyer, toujours présent, va enfin les faire pénétrer dans le Royaume des Neiges où des Flocons de neige aux longs manteaux immaculés et des lutins sapins les entraînent dans les tourbillons de la valse, tandis que résonnent de pures voix d’enfants. Et le miracle s’accomplit, le Casse-Noisette retrouve son bras, la magie lui donne vie et il peut, avec Marie danser un merveilleux Pas de deux, lien subtil entre tradition et modernité.

Ramiro Gomez Samon et Natalia de Froberville © David Herrero

Mais le rêve prend fin avec l’arrivée du jour, les enfants s’éveillent dans leur dortoir, en ayant tout oublié, sauf Marie. Mais Casse-Noisette, au grand désespoir de la fillette est vraiment un pantin de bois et non pas ce Prince Charmant qui l’a faite virevolter dans ses bras. Marie, au bord des larmes, finira par retrouver son sourire émerveillé, quand le Directeur, Drosselmeyer, leur présente le nouveau pensionnaire, qui a les traits du Casse-Noisette aimé.

La production reste toujours aussi éclatante : décors qui glissent à vue, tour à tour sombres et sobres, puis éclatants de couleurs et d’ingéniosité ; costumes chatoyants et très inventifs. Dans la fosse Marius Stieghorst succède à Koen Kessel à la tête de l’Orchestre du Capitole, avec le même enthousiasme et la même ardeur, pour cette partition de Tchaïkovski ré-agencée et augmentée d’inclusions musicales dues à Anthony Rouchier.

Et puis bien sûr il y a les danseurs. Deux distributions nous étaient présentées. Nous retrouvions le club des cinq avec Philippe Solano, bondissant clown Bidibulle, la toute gracieuse Kayo Nakasato, poupée sautillante, Solène Monereau toujours aussi racée et l’élégante Florencia Chinellato en Lady Chattelaine, sans oublier le Criquet à lunette de Simon Catonnet et ses drôles d’antennes tressautant au rythme de ses sauts. Timofiy Bykovets et Alexandre Ferreira se partageaient avec le même bonheur les raideurs souples du robot Spoutnik.

Tiphaine Prévost et Davit Galstyan © David Herrero

Rouslan Savdenov et Minoru Kaneko retrouvent, avec le brio qu’on leur connaît, le rôle du débonnaire Drosselmeyer, fil rouge de l’histoire, objet de l’adoration de la Haute Surveillante campée magnifiquement tour à tour par Alexandra Surodeeva et Juliette Thélin, que l’on retrouve ensuite en sombres Reine des Araignées, puis en Reine des Flocons. Ces deux danseuses donnent à travers ces trois rôles, si différents dans l’interprétation, la pleine mesure de leur talent. Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón interprétaient quant à eux, dans la première distribution, Marie et le Casse-Noisette. Ils furent, comme à l’accoutumée, parfaits de technique, d’interprétation, de vivacité pour elle, de raideur (voulue) d’automate pour lui. Leur Pas de deux fut une véritable démonstration de danse académique, absolument parfaite.

Tiphaine Prévost et Davit Galstyan © David Herrero

Mais la…. nous allions écrire la découverte ou la surprise de la deuxième distribution de ce spectacle fut Tiphaine Prévost, remplaçant au pied levé, l’étoile Julie Charlet, blessée. Mais ce serait faire injure à cette magnifique danseuse qui a depuis longtemps apporté la preuve de son talent. Il nous faut donc parler ici de confirmation. Tiphaine Prévost a fait la preuve qu’elle est maintenant une grande et belle danseuse. En scène tout au long du ballet, elle interprète avec beaucoup de justesse la jeune orpheline tour à tour, joyeuse, triste ou curieuse, tous les sentiments que demande le rôle. A ses côtés, Davit Galstyan, interprète un Casse-Noisette en automate d’une étonnante humanité. Danseur dont l’expérience et la sureté technique ne sont plus à démontrer, il a été un partenaire extrêmement attentif et sûr auprès de Tiphaine. Leur Pas de deux fut un magnifique point d’orgue qui souleva l’enthousiasme du public.

Le corps de ballet ne fut pas en reste et nous donna à voir de très beaux moments de danse : les femmes fleurs, les Baba Yaga, les Polichinelles ou encore la féerique Valse des Flocons.

Et le public, nombreux (l’ensemble des spectacles afficha complet) et enthousiaste montra le plaisir qu’il avait pris au travail et à l’enthousiasme des danseurs, par les longues ovations qui éclatèrent à la fin de l’œuvre.

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