Pour cette fin de saison, le Ballet National du Capitole, reprenait le spectacle Toiles Etoiles, entré au répertoire en 2022, mais cette fois-ci sur la scène de la Halle aux Grains. Le spectacle mettait en lumière l’œuvre de Picasso, dans la réalisation de ses rideaux de scène lors de sa collaboration avec les Ballets Russes de serge Diaghilev, et plus tard avec Serge Lifar. Trois chorégraphes espagnols ont travaillé sur de chorégraphies en relation avec les différents rideaux de scène qui leur avaient été proposés.
L’APRÈS-MIDI D’UN FAUNE
Sébastien Ramirez et Honji Wang, deux chorégraphes issus du hip-hop et de la danse urbaine et évoluant vers une danse contemporaine affirmée, avaient choisi « l’Après-midi d’un faune », toile peinte d’après un dessin de Picasso, pour la reprise à l’Opéra de Paris, en 1965, par Serge Lifar de ce ballet et d’Icare, représentant un faune poursuivant une nymphe. Ce rideau fut exécuté et finalement présenté au Théâtre du Capitole à Toulouse, où il ne fit pas l’unanimité du public, loin s’en faut. Le rideau de scène est remplacé ici par une toile légère délicatement peinte et qui devient, par la magie des mains d’Alexandre de Oliveira Ferreira qui le manipule, le partenaire évanescent des danseurs. A la partition originale de Debussy les chorégraphes y ont intégré des éléments musicaux plus contemporains. Les deux nymphes, Marie Varlet et Saki Isonaka, jouent avec le voile léger dans une chorégraphie sensuelle et troublante, très fluide et parfois désarticulée. Leur féminité et leur grâce s’opposent à l’animalité, la « lourdeur » suggestive des deux faunes Amaury Barreras Lapinet et Simon Catonnet. Commence alors une danse des deux couples qui se fuient, se reniflent, se caressent tour à tour. L’entrée de Rouslan Savdenov juché sur des sortes de sabots de faune surélevés (une vraie performance pour ce danseur) nous présente la figure du Minotaure, si présente dans l’œuvre de Picasso, fige les danseurs qui deviennent des pantins sous sa pique qui n’est pas sans rappeler celle du picador, figure également chère au peintre. La chorégraphie de Ramirez et Wang nous apparaît plus contemporaine que celle plus urbaine, plus proche du hip-hop qui est leur marque habituelle.
LE TRAIN BLEU
Cayetano Soto avait, quant à lui, choisi le rideau du Train Bleu, dont le titre est « La Course, deux femmes courant sur la plage de Dinard ». Peu inspiré par la chorégraphie originale ni par la musique e Darius Milhaud, il a porté toute son attention sur le peintre lui-même et sur la liberté, la joie qui inonde cette œuvre. Le ballet se scinde en deux parties et s’ouvre sur la déambulation des danseurs sur un chemin lumineux, vêtus de larges jupes noires à cerceaux (clin d’œil évident à l’interprétation du peintre des Ménines de Velázquez ) accompagnés par la voix de Picasso. L’idée est certes originale, mais les propos de l’artiste sont parfois peu compréhensibles et l’attention que l’on y prête nous éloigne parfois de la danse. Avec l’apparition du rideau de scène l’atmosphère change du tout au tout, la musique de Haendel résonne et toute une série de variations clairement néoclassiques va mettre en valeur la virtuosité et l’impeccable technique des danseurs du Capitole. Une énergie insolente les anime tous dans cette chorégraphie parfois acrobatique, mais donnant à voir de superbes figures. On retrouve avec bonheur les duos et les trios que dansent Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón, Kayo Nakasato, Solène Monnereau toujours aussi fines et d’une suprême élégance ; l’énergie et la fougue de Philippe Solano et Kléber Rebello, tout comme Alexandre de Oliveira Ferreira et Jérémy Leydier. Si cette pièce est assez éloignée de la chorégraphie originale, elle nous offre la vision énergique et foisonnante de Cayetano Soto.
TABLAO
Antonio Najarro de par son parcours de danseur et de chorégraphe de flamenco, et « escuela bolera », ne pouvait pas faire moins que de choisir le rideau « Cuadro Flamenco ». Comme nous l’avions déjà mentionné dans l’entretien avec Antonio Najarro, le chorégraphe se retrouvait devant un défi majeur : créer un ballet réunissant tous les styles de danse espagnole avec des danseurs de formation purement classique. L’enjeu était de taille, mais le travail intense, l’application, le cœur qui y ont mis les danseurs, la passion du chorégraphe a réussi cette gageure. Tous les danseurs ont su trouver le style autant dans le Jaleo ou la Tarara que les Jinetes. Plusieurs d’entre eux ont particulièrement brillé. Nina Queiroz a illuminé la Bolera Sevillana, exécuté avec un brio étincelant. Dans La Corrida, Marlen Fuerte Castro était le taureau face au toréador de Rouslan Savdenov. Mimant ce jeu du taureau et du matador, le couple évolue dans un combat ou l’amour le dispute à la mort. La danseuse est impressionnante de présence dans ce corps à corps qui l’oppose ou la rapproche de celui qui sera son bourreau. Rouslan Savdenov se tire honorablement de son rôle, sans tout à fait trouver le temple, la grâce si particulière du torero dans l’arène. Si nous avons retrouvé presque tout le bonheur que nous avions eu lors de la première vision de ce spectacle, il y avait tout de même une petite gêne, tout au long de la soirée, qui fut encore plus perceptible pour Tablao. Et cette gêne venait de la scène elle-même. La scène de la Halle aux Grains est…trop grande, trop large, trop profonde ! A plusieurs reprises, les danseurs semblaient perdus sur cet immense tapis. Et si l’on repense aux tablaos flamencos espagnols, notre Tablao toulousain manquait de cette sensation d’intimité que l’on retrouve chez nos voisins ibériques.
Il n’en reste pas moins que ce spectacle est un bel hommage aux passions du peintre : la corrida si bien illustrée dans son œuvre, et celle, moins connue pour la danse.
L’ensemble des danseurs a longuement été applaudi, mais à la fin des ovations aucun ne quittait la scène et d’autres acteurs les rejoignaient : Beate Vollak, la Directrice de la Danse, Christophe Ghristi, Directeur Artistique et Claire Roserot de Melin, Directrice Générale de l’Opéra National du Capitole. Qu’allait-il donc se passer ? Une nomination ? Beate Vollack pris la parole en annonçant que seule la France avait cette tradition et passa la parole à Christophe Ghristi qui annonça, avec toute la solennité requise la nomination comme étoile de Marlen Fuerte Castro, sous un tonnerre d’applaudissements de la part du public et de tout le ballet réuni sur scène. L’émotion de Marlen était palpable et son visage rayonnait du bonheur d’avoir atteint le firmament dont rêve toutes les danseuses.
MARLEN FUERTE CASTRO
Née à Cuba, Marlen Fuerte Castro se forme à l’École nationale de Ballet de La Havane à Cuba. En 2006, elle devient Première Soliste au Ballet national de Cuba, puis elle rejoint le Ballet Victor Ullate de Madrid en tant que Prima Ballerina, avant d’intégrer le Ballet de l’Opéra de Nice comme Danseuse Principale. En 2019, elle rejoint le Ballet de l’Opéra national du Capitole en tant que Soliste. Sa carrière est jalonnée de plusieurs prix et récompenses, dont la Médaille d’or au Concours International de Danse de La Havane en 2004, puis celle de la catégorie « Pas de deux » en 2006. Elle reçoit également en 2019 le Prix de danse Léonide Massine Positano dans la catégorie « Meilleur danseur sur la scène internationale ».
Depuis son entrée dans le Ballet du Capitole, on a pu l’admirer dans des rôles de solistes comme Myrtha dans Giselle, Suzanne Valadon dans Toulouse Lautrec, ou encore cette saison son magnifique solo du Wind Women de Carolyn Carlson. C’est pour le Ballet National du Capitole, une très belle nomination. En attendant celle d’une étoile masculine !
Annie RODRIGUEZ