Pour ouvrir la saison chorégraphique 10/11 de notre première scène nationale, Brigitte Lefèvre, directrice de la danse à l’Opéra de Paris, a choisi Roland Petit et trois de ses ballets, trois œuvres emblématiques de ce chorégraphe sur le thème des amours tragiques.
Evoquer Roland Petit c’est aussi interpeller une pléiade de musiciens, de peintres et de poètes qui firent la gloire du Paris de l’entre-deux-guerres. En effet, le chorégraphe sut très tôt s’entourer de talents novateurs lui permettant de créer autour de ses ballets des atmosphères littéraires et picturales qui, plus d’un demi-siècle après, étonnent toujours par leur modernité.
La soirée débute avec Le rendez-vous, créé en 1945, sur une musique de Joseph Kosma, dans les décors de Brassaï, les costumes de Mayo et le rideau de scène de Picasso. Entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 1992, il nous revient dans tout son étrange et troublant réalisme. Nous sommes dans le Paris des bohèmes, celui des petites gens.
Le Rendez-vous – Hugo Vigliotti
(Le Bossu)
Crédit photo : Anne Deniau
C’est là qu’un jeune homme, en fin de soirée, rencontre un destin aussi prématuré que tragique. Quand un bal musette se transforme en danse macabre, quand le Destin instrumente l’Amour dans un faux-semblant dramatique, la Mort est au rendez-vous. C’est ce que veulent nous dire tous ces artistes dans ce ballet aux univers à la fois poétiques et funèbres. Deux Sujets mènent ce bal maudit : Alice Renavand et Yann Saïz. Elle est « La Plus belle fille du monde », envoûtante et vénéneuse, magnifique aussi. Lui est « Le Jeune homme », fier, enthousiaste, gai, avide de bonheur, superbe de lyrisme et de musicalité. Soulignons l’interprétation du « Bossu » par Hugo Vigliotti (Quadrille), un rôle de composition important dans le déroulement du drame, délicat et difficile, superbement assumé.
C’est avec le Loup que continue ce programme. Sur un argument de Jean Anouilh et Georges Neveux, une musique d’Henri Dutilleux et les décors et costumes de Carzou, cette tragique variation sur le thème de La Belle et la Bête, créée en 1953, entre au répertoire de l’Opéra de Paris en 1975. L’histoire et la destinée de ce loup-garou trop humain pour les Hommes nous mènent sur les sentiers de la méditation philosophique, et l’amour fatal que lui voue la jeune fille, sur la voie du sacrifice ultime. C’est beau comme l’Antique et toujours aussi formidablement émouvant. Nommé Etoile en juin 2010, Stéphane Bullion s’empare du rôle-titre avec une autorité exemplaire. Toute de puissance et d’animalité, de souplesse et de tension, la danse superlative de cet artiste conjugue érotisme et désarroi avec une subtilité rarement atteinte. A ses côtés, Ludmila Pagliero (Première danseuse) est, avec une infinie tendresse et une musicalité souveraine, cette « Jeune fille » qui ne pourra vivre sa passion que dans l’anéantissement ultime.
Le Loup – Stéphane Bullion (le Loup) – Crédit photo : Anne Deniau
La soirée se termine avec un must : Le Jeune Homme et la Mort. Cocteau pour l’argument, Bach (orchestré par A. Goedicke) pour la musique, Wakhevitch pour le décor et les costumes d’après Karinska, voici le plateau somptueux de ce ballet, incontestablement parmi les plus célèbres de ce chorégraphe. A juste titre. Créé en 1946 et entré au répertoire de l’Opéra de Paris finalement il y a peu de temps (en 1990), mais repris depuis de nombreuses fois, Le Jeune Homme et la Mort met en présence, en un cours mimodrame de vingt minutes, un jeune peintre, délaissé par la jeune fille qu’il aime, et qui trouve refuge dans la mort. Particulièrement violent et physique, ce ballet réclame un danseur d’exception.
Le Jeune Homme et la Mort – Nicolas le Riche (le Jeune Homme)
Crédit photo : Anne Deniau
En ce 6 octobre, c’est Nicolas Le Riche, Etoile parmi les Etoiles de l’Opéra de Paris. Stupéfiant d’aisance jusque dans les figures les plus difficiles, il incarne avec un sens impressionnant de la souffrance, du cri, de la révolte et, finalement, de la résignation, ce jeune homme au destin fulgurant. Un véritable triomphe l’attendait au salut final. Eleonora Abbagnato (Première danseuse) est, avec beaucoup de rigueur, de dynamique et de précision, tout à la fois cette jeune fille coléreuse et la Mort dans les bras de laquelle elle va le jeter. La soirée, musicalement accompagnée par l’Orchestre Colonne sous la direction de Yannis Pouspourika, ne pouvait mieux se finir que sur cette apothéose.