Danse

Empereur, assassin et poète

Créé en octobre 2005, Caligula, le premier grand ballet de Nicolas Le Riche, est devenu depuis un classique du répertoire de notre première scène nationale. Ses reprises constituent toujours un évènement que nul balletomane ne saurait ignorer. A tel point que, cette année, Caligula a les honneurs d’une diffusion en direct sur le désormais célèbre réseau CielEcran le 8 février 2011.

Mathieu Ganio (Caligula)

Crédit photo : Laurent Philippe

Le succès de ce ballet, par essence moderne, est le fruit d’une approche dramaturgique particulièrement intéressante. Aidé en cela par Guillaume Gallienne, Nicolas Le Riche n’aborde pas ce personnage sous l’angle sulfureux que l’Histoire et l’inconscient collectif ont adopté. Il préfère nous le montrer entouré de quatre personnes qui, soit dans ses fantasmes, soit dans la réalité, ont traversé sa vie et sa folie. Il en est ainsi de Chaerea, cet officier qui, après l’avoir longuement servi, fut le bras meurtrier qui mit fin à la vie du jeune empereur de 29 ans. Pour les besoins du ballet, Chaerea est devenu sénateur, accréditant ainsi l’une des thèses de la mort de Caligula, le complot politique. C’est l’excellent Yann Saïz (Sujet) qui porte ce personnage ambigu tout à la fois fasciné et violemment humilié par Caligula.

Dans l’imaginaire du monarque, la Lune représente sa vision de l’amour inaccessible. Nicolas Le Riche va lui donner un rôle bref mais d’une poésie ineffable, d’autant que, ce soir, c’est Laëtitia Pujol (Etoile) qui l’incarne avec une grâce, une légèreté et un mystère totalement envoûtants. Autre fantasme, qui pris réellement corps cependant, celui de son cheval Incitatus. Il lui vouait une admiration telle que la légende prétend qu’il voulait l’élever au rang de consul ! La séquence est ici surréaliste, montrant Caligula tenant par une longe son cheval effectuant une reprise dans un manège. Mathias Heymann (Etoile), mors entre les dents, accomplit ces figures avec une discipline et une puissance physique stupéfiantes.

Laëtitia Pujol (La Lune) – Crédit photo : Laurent Philippe

Alors que la grammaire générale de ce ballet appartient à un certain néoclassicisme, avec le personnage du célèbre acteur Mnester, Nicolas le Riche introduit un langage plus heurté, symbolique, proche bien sûr de la pantomime, essence même du ballet. Tout de blanc vêtu, Stéphane Bullion (Etoile) danse ce rôle avec une précision et un contrôle absolu, donnant corps à ces intermèdes évoquant, sur une création électroacoustique de Louis Dandrel, les spectacles auxquels assistent Caligula et les Sénateurs. Enfin, il y a ce Caligula, dont on sent bien avec quelle empathie Nicolas le Riche et Guillaume Gallienne nous content cette inexorable course à l’abîme que fut sa courte vie. Sur la partition des Quatre saisons de Vivaldi (Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction Frédéric Laroque), du Printemps à l’Hiver, le cheminement vers une mort annoncée semble incontournable.

Mathieu Ganio (Caligula) et Mathias Heymann (Incitatus)

Crédit photo : Laurent Philippe

Mathieu Ganio, qui venait d’être nommé Etoile lorsqu’il interpréta ce rôle lors de sa création en octobre 2005, démontre encore ici la formidable évolution de son art. Du jeune homme écrasé par son poste politique, tourmenté par la maladie et peut être la folie, artiste refoulé et frustré, passionné d’art et de jeux, Mathieu Ganio nous donne une image à la fois spontanée et naïve, perverse et cruelle, émouvante et terrifiante. Une splendide incarnation soutenue par une maîtrise au plus haut degré d’une chorégraphie accumulant les plus délicates difficultés du genre, en particulier des équilibres dantesques. Un artiste exceptionnel dont l’aura grandit de spectacle en spectacle. Saluons enfin un Corps de ballet aux ensembles hallucinants de précision.

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