Danse

Ballet Nacional de España : une magistrale leçon de danse espagnole

Le Ballet Nacional de España est de retour à Odyssud, deux ans après nous avoir présenté la brillante Suite Sevilla. Date un peu particulière que celle de cette année puisque la compagnie fête ses quarante ans d’existence. Portée sur les fonts baptismaux par Antonio Gades en 1978 en pleine résurgence culturelle en Espagne (l’année également du vote de la Constitution espagnole), elle a vu se succéder à sa tête de très grands professionnels : Antonio Ruiz Soler, María de Ávila, José Antonio, Aída Gómez, et depuis 2011 Antonio Najarro. Il nous présentait pour ces six spectacles à Odyssud, deux ballets créés en 2015, et qui sont une synthèse de ce qu’est la danse espagnole : la danse classique espagnole, le folklore, le flamenco et la escuela bolera. Cette dernière est née de la « fusion » de la danse classique d’origine française et des danses traditionnelles andalouses. Ce sont ces quatre piliers que défend avec ardeur et obstination Antonio Najarro, chorégraphe et directeur de la troupe.

Le ballet Zaguán – Photo Jesus Vallinas –

Zaguán

Zaguán ouvrait la soirée et nous présentait six morceaux purement flamencos, accompagnés en « live » par les instruments traditionnels guitares et cajón, sans oublier le chant et les palmas. Pour ce ballet Antonio Najarro a fait appel à de jeunes et talentueux chorégraphes contemporains. La Siguiriya et la Toná d’ouverture étaient l’œuvre de Marco Flores. Dix-huit danseurs sur scène (chose peu habituelle pour ces formes flamencas qui sont généralement des solos, parfois des duos), dans une harmonie en noir et blanc pour les costumes, donnent immédiatement le ton de cette première partie. La précision des ensembles est stupéfiante, les talons claquent à la même seconde dans les zapateados, les bras s’incurvent tous dans la même position. Les lignes se croisent et se défont dans une parfaite coordination. Suit un duo chorégraphié par Mercedes Ruiz, sur le rythme des Cantiñas de Córdoba, chant festif que les deux danseurs interprètent avec toute la grâce et l’allégresse que demande ce « palo » (forme stylistique du flamenco). Suivent une Guajira et une Milonga mises en pas par Marco Flores et qui, elles aussi, sortent des sentiers battus, puisque ce sont les garçons qui interprètent ces danses traditionnellement dévolues à un groupe de danseuses. Leur prestation est pleine d’humour et de sensualité, à l’image de ces deux rythmes ramenés de Cuba et des Caraïbes.

Le ballet Zaguán

– Photo Maria Alperi –
O
Dans les Tangos de la Fonda de Carmencita, La Lupi met en scène des danseuses flamencas mythiques à l’image de Josefa la Coquinera et Soledad la Mejorana, reines des Cafés Cantantes de la toute fin du XIXème siècle ou de Juana la Macarona, plus proche de nous. Les costumes de Yaiga Pinillos sont ici de pures merveilles dans l’infinité de détails qui nous renvoient aux délicats travaux d’aiguilles des siècles passés et des couleurs en parfaite harmonie. Ce morceau semble être un prélude à ce qui suit : La Soleá del Mantón. Une danse devenue un classique du flamenco, chorégraphiée par Blanca del Rey, reine incontestée du célèbre tablao flamenco madrilène, El Corral de la Morería. Sur ce rythme, parmi les plus nobles du flamenco, la danseuse exécute des figures lentes en faisant tournoyer son mantón, ce grand châle brodé souvent somptueux, attribut de bien des danses.

La fin du ballet, où l’on retrouve tout le travail des chorégraphes invités et l’ensemble des vingt-sept danseurs, est une merveille de symétrie, de mouvements d’ensembles parfaitement coordonnés, où les danseurs ne sont qu’un et pourtant toutes les individualités se lisent sur les expressions des visages, sur les mouvements des mains qui frappent exactement au même moment mais avec des façons d’y arriver totalement personnalisées.

Alento

La deuxième partie du spectacle nous entraîne dans un autre monde, celui d’Antonio Najarro. On y retrouve bien sûr de profondes influences espagnoles, mais où se mêlent des touches anglo-saxonnes, tant dans la musique du remarquable compositeur argentin Fernando Egozcue, que dans la chorégraphie d’Antonio Najarro. Le premier mouvement, Origen, réunit la troupe dans une symphonie en rose et vert où la grâce des danseuses répond à l’élégance des danseurs dans un jeu de lumières savamment orchestré. Luz est un moment poétique, hors du temps où un couple de danseurs apparaît au centre d’une immense corolle ondulante pour un pas de deux (je crois qu’il n’est pas faux d’employer cette dénomination ici) dans un espace où ils sont seuls, où rien si ce n’est eux ne peut exister.

Le ballet Alento – Photo BNE –

Les cinq danseuses qui leur succèdent sont les Ánimas, des âmes qui semble flotter, jouant avec leurs jupes qui se transforment, au gré de la chorégraphie, en cape ou en tapis de plume. Et dans leur interprétation la danse classique espagnole n’est pas loin, avec ses mouvements de bras et de bustes, si caractéristiques. Puis les garçons entrent en scène, avec Acecho, sur une musique où résonnent des accents sudaméricains, dans une danse physique, pleine de force et de dynamisme, où l’on pourrait se croire sur une scène de Broadway, avec parfois, comme une fulgurance, une pirouette, un saut, qui ne sont pas sans rappeler la grammaire classique. La fin de leur prestation voit descendre des cintres dans une escarpolette, une sorte de déesse, le Ser, vêtue d’une très flamenca « bata de cola », cette robe à traîne qui offre aux spectateurs de si belles ondulations. Sa danse pleine de sensualité transforme encore une fois l’espace scénique en un monde différent de ceux qui l’ont précédé. Puis la danseuse se défait de ce cocon neigeux pour apparaître dans une robe verte très contemporaine, dans une chorégraphie vibrante, presque agressive, affirmant ainsi son indépendance.

Le ballet Alento – Photo Jesus Valinas –

La dernière partie, Alento, est un jeu avec des tabourets qui vont et viennent, s’approchent, s’éloignent, mêlant le taconeo flamenco à des ports de bras plus classiques et qui se termine par une marche sur la scène et dont le mouvement de fin arrache aux spectateurs un « Oh ! » d’admiration avant que n’éclatent des applaudissements nourris. Que dire des costumes de ce second ballet ! Ils sont l’œuvre de Teresa Helbig créatrice de haute-couture barcelonaise, qui a su allier l’élégance, la fluidité, la richesse des étoffes, pour que la danse prenne encore plus de relief. Ajoutez à cela une scénographie inventive, un éclairage magique et vous pourrez comprendre l’enthousiasme du public qui salua debout, longuement, la performance de cette troupe remarquable de précision, d’engagement, d’expressivité, de musicalité, en un mot… de talent !

Partager