Le 9 mai dernier, la Halle aux Grains accueillait en avant-première le concert d’ouverture de la 48ème édition du Festival du Comminges. Cette délocalisation bienvenue a confirmé le haut niveau musical de cette manifestation fondée en 1975 par le regretté Jean-Patrice Brosse autour de Saint-Bertrand du Comminges et sa prestigieuse cathédrale.
Ce soir-là à Toulouse, le violoncelliste Victor Julien-Laferrière, qui dirige cette prestigieuse manifestation depuis 2022, présente sa nouvelle édition en tant que directeur artistique, soliste et chef d’orchestre. Une triple mission qu’il accomplit avec talent, musicalité et ferveur. La qualité de ce concert en avant-première et la liste des participants à cette édition 2023 du Festival promettent à l’évidence une série d’événements du plus haut niveau.
La formation symphonique qui anime toute cette soirée porte le nom, a priori énigmatique, d’Orchestre Consuelo. En fait, Victor Julien-Laferrière a tout simplement choisi la figure de cette héroïne du roman éponyme de George Sand pour le symbole qu’elle représente. C’est donc sous le double signe de la plus musicienne des héroïnes, décrite par la plus musicienne des romancières, que prend vie la démarche artistique de cet orchestre. Véritable ensemble à géométrie variable de 15 à 50 musiciens, l’Orchestre Consuelo se donne pour mission d’aborder le répertoire symphonique par le prisme de la musique de chambre et de le mettre en œuvre avec exigence et passion. Composée de musiciens issus de grandes formations, dont l’Orchestre national du Capitole, cette phalange à découvrir démontre ce soir-là un ensemble impressionnant de qualités. Sous la direction précise et souriante de Victor Julien-Laferrière, chaque solo instrumental s’avère parfait et un équilibre remarquable s’établit entre les différents pupitres, ainsi qu’entre l’orchestre et le soliste, quel qu’il soit… Et précisément, pour la première œuvre inscrite au programme, le soliste n’est autre que… le chef lui-même.
Dans les Variations sur un thème rococo, pour violoncelle et orchestre Op. 23 de P. I. Tchaïkovski, le violoncelle de Victor Julien-Laferrière impressionne dès la première variation. Sa généreuse sonorité, d’une rondeur admirable, s’accompagne d’une pureté de jeu et d’une justesse expressive rares. Tendresse et virtuosité lumineuses éclairent l’ensemble des ces variations aux nuances admirablement choisies. Toute cette interprétation baigne dans un esprit de musique de chambre touchant. Bien que le chef-soliste tourne le dos à son orchestre, le jeu de ce dernier reste d’une précision parfaite. La mise en place rigoureuse des pizzicati en est un test imparable !
La partition suivante fait appel à l’un des pianistes d’origine toulousaine les plus internationalement acclamés. Prophète en son pays, Adam Laloum n’a certes plus besoin d’être présenté ici. Il aborde ce soir-là un répertoire avec lequel il respire et qu’il nourrit de sa sensibilité. Sa familiarité, sa proximité avec le Concerto pour piano et orchestre n°23 en la majeur K. 488, de W. A. Mozart ne sont plus à prouver. Il l’aborde néanmoins avec une fraîcheur souriante. L’Allegro initial s’ouvre et se déroule dans l’atmosphère de grâce et de tendresse que suscite le toucher léger du soliste. La profondeur extrême de l’Adagio s’écoute comme une confidence d’une tristesse presque tragique. Le soliste, admirablement secondé par l’orchestre, semble y sublimer une douleur cachée. L’Allegro assai, enfin, résonne comme une libération. L’effervescence lumineuse du jeu du pianiste conduit à une joie contenue mais là aussi d’une subtile profondeur.
Ces deux partitions, chaleureusement acclamées, sont suivies de l’exécution d’une œuvre rare d’un compositeur pourtant abondamment programmé, P. I. Tchaïkovski. Si ses symphonies, surtout celles qui composent le « trio du fatum », sont souvent données en concert, ses Suites pour orchestre restent dans l’ombre. La Suite n° 1 en ré mineur, op. 43, présentée ce soir-là, a été composée de 1878 à 1879. Elle suit de peu la 4ème symphonie si souvent jouée. Ses six mouvements, majoritairement joyeux, abordent les styles et les techniques d’orchestration les plus diverses. Sous la direction affûtée et imaginative de Victor Julien-Laferrière, cette diversité bénéficie de la virtuosité et de la rigueur des musiciens qui ici aussi semblent animer un concert de musique de chambre. La Fugue du premier volet, qui s’ouvre sur une impressionnante intervention des bassons, la Marche militaire du quatrième ainsi que la vivacité du Scherzo procèdent de cette animation généreuse suscitée par la direction du chef. La Gavotte finale, Allegro, contraste de manière frappante avec l’atmosphère tragique des symphonies contemporaines du compositeur.
L’accueil du public, malheureusement clairsemé, mais particulièrement enthousiaste, appelle un bis offert généreusement. La reprise d’un extrait de la 1er Suite de Tchaïkovski clôture cette belle soirée découverte qui augure d’un Festival du Comminges de qualité.
Serge Chauzy
Programme du concert donné le 9 mai 2023 à 20h30 à la Halle aux Grains de Toulouse :
- P. I. Tchaïkovski : Variations sur un thème rococo pour violoncelle et orchestre Op. 23
- W. A. Mozart : Concerto pour piano et orchestre n°23 en la majeur, K. 488
- P. I. Tchaïkovski : Suite d’orchestre n°1 Op.43