Humour et tendresse animent le programme du concert donné le 11 avril dernier par l’Orchestre de Chambre de Toulouse. Construit autour de la fameuse « fantaisie animalière » de Camille Saint-Saëns, Le Carnaval des Animaux, il rassemble des œuvres apparemment disparates mais néanmoins liées par un certain esprit d’imitation. De Nielsen à Saint-Saëns en passant par Mozart, la palette des styles témoigne de la curiosité sans limite des musiciennes et musiciens de la phalange toulousaine.
Gilles Colliard choisit d’ouvrir le concert avec une œuvre rare d’un compositeur peu présent dans les salles de concert. Le Danois Carl Nielsen est surtout connu pour ses six symphonies dont la plus fêtée reste la quatrième intitulée « L’inextinguible ». La Petite suite op. 1 que joue l’OCT date de 1888, Nielsen avait vingt-trois ans. Déjà apparaît là l’originalité d’un discours qui se veut pourtant dans la tradition brahmsienne. Le premier mouvement, Praeludium, évoque une sorte de rêverie nocturne. Dans la deuxième partie, Intermezzo, les cordes avec sourdine scandent une danse légère qui n’est pas sans lien avec le jeune Mendelssohn. Le troisième volet, Finale, évolue de la lente sérénité initiale vers une vivacité tonique.
Le quatuor de l’Orchestre de Chambre de Toulouse
joue Mozart. De gauche à droite :
Gilles Colliard et Patrick Lapène, violons, Vincent Gervais, alto, Anne Gaurier, violoncelle
– Photo Classictoulouse –
Le thème « animal » de la soirée apparaît enfin avec le premier mouvement du quatuor à cordes n° 17 de Mozart, intitulé « La Chasse ». Le choix est évident. Les harmonies mises en œuvre par le compositeur évoquent à dessein les sonneries de cor d’une expédition cynégétique. Gilles Colliard et Patrick Lapène, violons, Vincent Gervais, alto et Anne Gaurier, violoncelle renouvellent l’expérience du quatuor, si convaincante lors de leur précédent concert Schubert. Les quatre musiciens retrouvent ici cet art si subtil de la discussion en musique. Les échanges, leur cohésion et la palette des nuances construisent une belle interprétation que l’on souhaiterait voir prolonger à l’intégrale de cette partition étonnante.
Mais c’est au « sérieux » Camille Saint-Saëns de prendre la suite. La séquence qui lui est consacrée s’ouvre sur une version pour orchestre à cordes, signée Gilles Colliard, de la fameuse Danse macabre. C’est au violon solo de sonner les douze coups de minuit. C’est lui également qui mène la danse avec une rage grinçante et diabolique. Comme le rappelle Gilles Colliard lui-même, c’est une tapisserie de l’abbaye de la Chaise-Dieu représentant une danse de squelettes qui aurait inspiré à Saint-Saëns cette partition échevelée.
L’Orchestre de Chambre de Toulouse pendant “Le Carnaval des animaux”
– Photo Classictoulouse –
Le très docte Saint-Saëns, taxé parfois injustement d’académisme, conçut son œuvre délibérément iconoclaste, Le Carnaval des Animaux, pour le Carnaval de Paris. Elle y fut créée à l’occasion du Mardi gras, et rejouée par la société « La Trompette » pour fêter la Mi-Carême. Inquiet de la réputation qu’elle pouvait lui valoir, le compositeur interdit ensuite l’exécution publique de cette œuvre de son vivant. Il fallut attendre la lecture de son testament pour que l’œuvre soit rejouée en public. Gilles Colliard en a réalisé et dirige ici une version pour orchestre à cordes qui rend pleine justice à la structure harmonique, à la richesse polyphonique des voix, et surtout à l’humour de cette parodie pleine d’imagination et de finesse. C’est à la visite d’un très grand zoo musical que Saint-Saëns et l’Orchestre de Chambre nous invitent. Cette suite musicale à la gloire du Roi lion, des poules et coqs, hémiones, tortues, éléphant, kangourous, aquarium, personnage à longues oreilles, fossiles, coucous, volière, cygne et même… pianistes, est ici accompagnée des commentaires aussi subtils qu’ironiques que le grand humoriste Francis Blanche a imaginé pour ce carnaval ! Lus par Gilles Colliard, ils donnent toute leur signification à ce défilé irrésistible. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer la définition « blanchienne » du pianiste :
« Quel drôle d’animal ! / On dirait un artiste. / Mais dans les récitals / On l’appelle pianiste./ Ce mammifère concertivore digitigrade / Vit le plus souvent au haut d’une estrade. / Il a des yeux de lynx / Et une queue de pie. / Il se nourrit de gammes. / Et ce qui est bien pis / Dans les vieux salons / Il se reproduit mieux que les souris ! / Près de son clavier, il vit en soliste. / Cependant, sa chair est peu appréciée. / Amateurs de gibiers / Chasseurs sachez chasser ! / Ne tirez pas sur le pianiste ! »
Dans cette version pour cordes, la clarinette du coucou est remplacée par le violon. Un étrange oiseau qui tourne autour de ses compères musiciens comme pour se moquer !
Après avoir admiré Anne Gaurier et son violoncelle en forme de cygne, ainsi que Renaud Gruss et son éléphant de contrebasse, on sort de ce concert le sourire aux lèvres…
