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Sur les sommets

Le 12 octobre dernier, l’Orchestre national du Capitole s’associait au Festival International Toulouse les Orgues et poursuivait ainsi son partenariat avec le grand orgue de la cathédrale Saint-Etienne. Ce concert signait également le retour à Toulouse du chef d’orchestre danois Thomas Søndergård, issu de la brillante et jeune génération des chefs scandinaves. L’organiste Thierry Escaich, soliste de la soirée, était également le compositeur d’une grande œuvre inscrite au programme, son deuxième concerto pour orgue et orchestre.
Comme cela a déjà été expérimenté, l’orgue de la cathédrale Saint-Etienne, solidement accroché à une hauteur vertigineuse dans la vénérable bâtisse, est l’instrument soliste et l’Orchestre national du Capitole joue dans sa résidence de la Halle aux Grains. La prestation de l’organiste est donc retransmise simultanément par ondes hertziennes, son image apparaît sur grand écran dans la Halle aux Grains et le son est reproduit par des enceintes acoustiques. Au-delà de la performance technique, admirons celle des musiciens et du chef d’orchestre qui doivent s’adapter à cette collaboration à distance.

Le chef d’orchestre danois Thomas Søndergård dirigeant l’Orchestre national du Capitole

et l’organiste et compositeur Thierry Escaich à la tribune du grand orgue de la cathédrale Saint-Etienne – Photo Classictoulouse –

Thomas Søndergård relève le défi avec panache. Ayant débuté à la tête de l’Orchestre du Capitole en avril 2011, c’est également lui qui dirigeait le concert du 6 juin dernier. Sa troisième apparition toulousaine confirme son grand talent et la qualité de la relation qui s’est ainsi nouée avec les musiciens de la phalange toulousaine et son public fidèle.

Deux pièces avec orgue occupent la première partie de la soirée. Cortège et Litanie, de Marcel Dupré, est l’œuvre de l’un des grands organistes du vingtième siècle. Successivement conçue pour petit orchestre, puis pour piano, ensuite pour orgue seul, cette partition connut enfin, en 1925, sa version actuelle pour orgue et grand orchestre. Malgré les limitations sonores inévitables entraînées par la transmission à travers un système acoustique, la fusion entre l’instrument soliste à distance et l’orchestre présent est parfaite. Grâce notamment à la rigueur rythmique du chef, le dialogue fonctionne. De la procession initiale au final exubérant, apothéose d’un crescendo irrésistible, la richesse des timbres témoigne de la science des registrations de l’organiste-compositeur.

Composé en 2006 pour l’Orchestre de Bretagne, le 2ème concerto pour orgue et orchestre de Thierry Escaich mêle à l’instrument-roi un grand orchestre à cordes avec percussions. Richesse des couleurs, des timbres, des rythmes fait de cette partition en deux mouvements enchaînés une vaste progression vers la lumière. Le compositeur-interprète utilise toutes les possibilités du Cavaillé-Coll de la cathédrale dans son association avec l’orchestre, véritable tourbillon polyphonique à la fois tonal et modal, mais toujours lisible. La vision, sur grand écran, de l’organiste en pleine action donne la mesure de la performance physique qui accompagne, et surtout produit, la performance musicale. Rares sont les plages de suspension d’une course infernale vers l’explosion finale. Lorsqu’elle survient, elle agit comme une formidable libération d’énergie. C’est bien ainsi que le public reçoit cette belle œuvre accueillie avec enthousiasme. Ici aussi, la rigueur rythmique de la direction de Thomas Søndergård est un atout considérable de la réussite.

Thomas Søndergård acclamé à l’issue de la sixième symphonie de Sibelius

– Photo Classictoulouse –

Acclamé comme il se doit, Thierry Escaich, sacrifiant volontiers en cela à la tradition organistique, offre un bis sous forme d’improvisation sur un thème. Il choisit celui de la pièce de Marcel Dupré et génère ainsi un déferlement cataclysmique impressionnant. L’orgue se fait orchestre, percussion, volcan en éruption. Une délirante performance !

Comme lors de son premier concert toulousain, Thomas Søndergård revient à Jean Sibelius, qu’il aime et qui visiblement coule dans ses veines. Il choisit de diriger la sixième symphonie du grand compositeur finlandais, l’une de ses plus rares partitions. Aussi éloignée de la nostalgie de la deuxième que de l’exaltation de la cinquième, la simplicité apparente de cette sixième recèle de véritables trésors. Le compositeur lui-même prétend servir ici à ses auditeurs « une eau froide et pure ». Mais chez Sibelius, sous l’apparente glace brûle souvent un feu ardent. Les quatre mouvements de la symphonie ne cherchent pas ici à s’opposer, ni à ménager de spectaculaires contrastes. De puissants élans d’une subite sauvagerie viennent crever la surface faussement lisse d’une polyphonie lumineuse. La direction acérée de Thomas Søndergård réalise une prodigieuse analyse de cette partition que l’orchestre accomplit avec précision et intensité. Arêtes vives du phrasé, mobilité expressive sans pesanteur, alternance soignée des tensions et des détentes, tout concourt à éclairer, à soutenir, la vie frémissante qui nourrit toute l’œuvre. Celle-ci s’achève sur une sorte de traveling arrière admirablement réalisé. Tout au long de la symphonie, l’orchestre se surpasse. On comprend dès lors l’hommage que le chef tient à rendre à ces musiciens à l’issue de cette exécution, témoignant ainsi de son bonheur de venir à Toulouse.

Ses remerciements, cette fois en direction du public, se traduisent par un bis inattendu mais ô combien bienvenu : la fameuse Valse triste, toujours de Sibelius, admirablement phrasée. Un vrai bonheur !

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