Concerts

Pierrot en dialogue

Les Présences Vocales explorent les fondamentaux de l’avant-garde. Après avoir visité le monde du madrigal, le Théâtre Garonne présentait, le 18 février dernier, un spectacle musical en forme de miroir. Deux œuvres « jumelles », liées par le même support littéraire, alimentent une confrontation, un dialogue étonnant entre deux styles, deux modes d’expression développant le même thème : celui de ce Pierrot Lunaire, effigie hors du temps que l’on retrouve dans toutes les formes d’art, de la peinture au cinéma, en passant par la musique. Le bel ensemble instrumental L’Instant Donné et la soprano Marion Tassou mènent la confrontation avec panache et conviction.
A l’aube du XXème siècle, Arnold Schönberg révolutionne le langage musical, et en particulier le langage vocal. Avec son Pierrot Lunaire, « inépuisable ferment du futur » selon Pierre Boulez, il signe une œuvre emblématique qui, jusqu’à aujourd’hui, pose des questions plus qu’elle ne donne de réponses. Puisant dans le recueil des cinquante poèmes du Pierrot Lunaire du poète belge Albert Giraud, dans la traduction allemande d’Otto Erich Hartleben, il met en musique et « chant parlé » (Sprechgesang) trois fois sept de ces poèmes. La commande émane d’une diseuse de cabaret, Albertine Zehme, sorte d’Yvette Guilbert germanique. Schönberg voit là l’occasion de mettre en œuvre un nouveau mode d’expression vocale, ce fameux Sprechgesang, intermédiaire entre le chant et la parole, première réforme de ce type après la parlar cantando de Monteverdi, trois siècles plus tôt. La création a lieu le 16 octobre 1912.

La soprano Marion Tassou et les membres de l’ensemble vocal L’Instant Donné

– Photo Classictoulouse –

Un an plus tard, le compositeur Max Kowalski, né en Russie, s’empare du même recueil littéraire, dans la même traduction, et met en musique douze de ses poèmes qu’il destine à une voix de soprano accompagnée au piano. Certains de ces poèmes figurent déjà dans le cycle de Schönberg. Mais le choix est différent. La musique également, ô combien ! Un rapprochement supplémentaire entre les deux « Pierrot » se produit lorsque le compositeur allemand Johannes Schöllhorn décide, en 1992, de transcrire la partition de piano de Kowalski pour le même ensemble instrumental que celui de Schönberg, à savoir : flûte (et piccolo), clarinette (et clarinette basse), violon (et alto), violoncelle et piano. La transcription instrumentale crée ainsi un lien supplémentaire entre les deux « Pierrot ».

La soirée toulousaine du 18 février s’ouvre sur l’œuvre de Kowalski/Schöllhorn. On découvre alors le cycle des douze poèmes choisis par Kowalski. Un sur-titrage bienvenu affiche les poèmes en français, d’Albert Giraud. On peut alors observer la grande liberté avec laquelle Otto Hartleben a traduit le langage original, le poussant vers un expressionnisme exacerbé. Les mélanges de timbre du très bel ensemble L’Instant Donné, la voix pleine de charme de MarionTassou réalisent une fusion parfaitement musicale de ce style fait de légèreté, parfaitement tonal et jouant sur l’expressionnisme tel qu’il se découvrait à l’époque de la création. Si l’instrumentation rapproche ce « Pierrot » de son prédécesseur, le contenu musical reste fondamentalement différent, plus traditionnel.

La confrontation avec l’œuvre de Schönberg, qui suit celle de Kowalski/Schöllhorn, est largement significative. La palette expressive, incomparablement plus large, ne tient pas seulement à l’utilisation du Sprechgesang. Certes, la grande liberté que Schönberg laisse à son interprète dans ce cadre vocal joue à plein, mais les contrastes expressifs sont ici tellement plus accusés, le relief de l’instrumentation et son dialogue avec la voix génèrent une puissance expressive incomparable. Les choix de la voix soliste sont ici cruciaux. Certaines interprètes se contentent de chanter les notes. D’autres les parlent carrément. Marion Tassou, très légitimement, situe ses interventions à égale distance entre les deux modes d’expression vocale. Son timbre, très pur dans le chant, n’hésite pas à déborder sur le feulement ou même le cri lorsque la partition le demande. La conviction de son interprétation touche l’auditeur. Elle est d’ailleurs entourée, soutenue par un quintette instrumental d’une grande cohésion, précis et coloré.

Même s’il n’est pas question d’établir ici un palmarès entre deux œuvres si différentes, on ne peut rester insensible à la force restée intacte de ce « Pierrot » des origines !

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