Concerts

Musiques d’Amérique

On attendait le chef estonien Kristjan Järvi pour diriger le concert de l’Orchestre national du Capitole du 20 janvier dernier. Son indisponibilité a permis à Pascal Rophé de faire ses débuts à la tête de la phalange toulousaine. Un grand merci doit lui être adressé, d’autant plus qu’il a conservé le programmé initialement prévu. La tâche n’était pas anodine.
Pascal Rophé est devenu l’un des spécialistes de sa génération du répertoire du XXème siècle. Il collabore avec la plupart des institutions et des grands ensembles européens qui se consacrent à la musique de notre temps. Il se lie avec des compositeurs et des interprètes qui jouent un rôle important dans la création musicale. Ses rencontres avec Pascal Dusapin, Bruno Mantovani, Ivan Fedele, d’une part, Roger Muraro, Antoine Tamestit, Jean-Efflam Bavouzet, d’autre part, forgent sa personnalité. Il a collaboré dès 1992 avec Pierre Boulez et l’ensemble InterContemporain.

Son profil correspond donc parfaitement au programme initialement prévu pour le concert toulousain du 20 janvier. Chacune des trois œuvres qui le composent possède un lien fort avec les Etats-Unis. Soit parce que son auteur est de nationalité américaine, comme John Adams et Aaron Copland, soit parce qu’elle a été conçue en Amérique et destinée à un orchestre du crû, ce qui est le cas du Concerto pour orchestre de Bartók.

David Minetti, soliste du concerto pour clarinette et orchestre d’Aaron Copland avec l’Orchestre national du Capitole dirigé par Pascal Rophé – Photo Classictoulouse –

Avec une précision absolue, Pascal Rophé dirige en ouverture de soirée l’étonnante partition de John Adams intitulée « The Chairman Dances » (Les Danses du Président) composée en marge de son célèbre opéra « Nixon in China » et illustrant une scène surréaliste de fox-trot échevelé entre le jeune Mao Tsé-Toung et sa maîtresse Chiang Ch’ing, future Madame Mao de sinistre mémoire. Cet échantillon significatif de musique minimaliste et répétitive, une spécificité bien américaine, se distingue des œuvres de ses collègues par une richesse instrumentale, une imagination prodigieuse et l’attrait quasi-hypnotique qu’elle exerce sur l’auditeur disponible. Le rythme obsessionnel, subtilement mouvant, de la première partie s’impose avec vigueur. Les évolutions lentes de la structure harmonique parcourent un paysage d’une prodigieuse richesse de couleurs et de timbres. L’orchestre soutient vaillamment le rythme haletant, la superposition des strates instrumentales et leur glissement progressif que le chef domine avec énergie et exactitude.

Bien différente est la musique d’Aaron Copland. Au sein d’une production au spectre particulièrement large, dans laquelle voisinent des pièces pittoresques comme Appalachian Springs et des incursions dodécaphoniques, le concerto pour clarinette et orchestre mêle structure classique et inspiration jazzique. Les deux volets de la partition s’opposent vigoureusement. La nostalgie lyrique du premier s’enchaîne avec le foisonnement rythmique et harmonique du second. Entre les deux, une cadence étourdissante du soliste met sa technique et son pouvoir expressif à l’épreuve. David Minetti, clarinette solo de l’orchestre, se montre largement à la hauteur de la tâche. Les contrastes de styles et de timbres, la virtuosité sans ostentation sont son affaire. On retient sa respiration à l’écoute des incroyables pianissimi dont il possède le secret. Entouré par un orchestre chatoyant, il déploie un admirable sens du phrasé et conduit l’œuvre au succès absolu. Acclamé par le public et ses collègues de l’orchestre, David Minetti offre en bis la dernière des Trois Pièces pour clarinette de Stravinski. Une partition mythique pour l’instrument, bien dans la continuité de l’œuvre de Copland.

Pascal Rophé dirigeant l’Orchestre national du Capitole dans le Concerto pour Orchestre de Béla Bartók
– Photo Classictoulouse –

La dernière des grandes œuvres symphoniques de Béla Bartók, son Concerto pour Orchestre, commandé en 1943 à l’exilé malade par l’Orchestre de Boston et son directeur Serge Koussevitzky, dépasse largement l’exercice technique. Chaque pupitre de la phalange est sollicité et poussé dans ses derniers retranchements, à la recherche de la couleur, de l’expression, de la beauté musicale. De l’Introduzione, émergeant du silence, jusqu’au Finale rutilant mais comme désespéré, la tension reste palpable. Maîtrisant l’équilibre des timbres, Pascal Rophé conduit chaque épisode avec fermeté et sens de la nuance. Les duos instrumentaux du Giocco delle copie, sont admirablement négociés par chacun des pupitres concernés, des subtils bassons aux inquiétantes trompettes, en passant par la verdeur des hautbois, le velouté des clarinettes… La tragique Elegia, au ton presque cruel, l’ironie de l’Intermezzo citant Johann Strauss, aboutissent au Finale exaltant mais si ambigu dans la détresse.

Le succès public obtient du chef et de l’orchestre une nouvelle exécution de la dernière partie de ce final plein de fièvre.

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