Concerts

Luna Park, fascinante symphonie sonore et visuelle

Pour son deuxième rendez-vous, le cycle Présences Vocales présente à Odyssud l’œuvre d’un grand créateur de notre temps, Georges Aperghis. Avec son saisissant spectacle intitulé Luna Park, le compositeur d’origine grecque donne libre court à son imagination sans limite dans le domaine du théâtre musical qu’il a largement contribué à créer.
Quatre cabines transparentes, chacune habitée par un acteur-musicien, occupent la scène sur sa largeur. Quatre cellules qui isolent chaque occupant du reste du monde auquel il reste néanmoins intensément relié par les moyens audio-visuels les plus élaborés. Filmés en permanence par une multitude de caméras inquisitrices, ces personnages apparaissent en temps réel sur les écrans qui envahissent la scène. Il faut dire que Luna Park aborde une thématique bien actuelle, la surveillance de chacun par un système audiovisuel d’observation institutionnalisé. Georges Aperghis ne laisse planer aucun doute sur la direction de sa démarche : « Comment réussir à voir sans être vu ? Comment surveiller ses voisins chez eux dans la rue, dans leur vie de tous les jours en restant derrière un écran ? Dans Luna Park, chacun surveille l’autre… »

Luna Park, de Georges Aperghis, lors de sa présentation à Odyssud

– Photo Classictoulouse –

Cette commande de l’Ircam-Centre Pompidou et du Festival international de musique contemporaine Automne de Varsovie expose ainsi sans détour les rêveries et les cauchemars nourris de ces obsessions visuelles. Aperghis convoque pour cela deux musiciens-comédiens, les deux flûtistes Eva Furrer et Michael Schmid, qui encadrent dans leur cabine respective ceux que le compositeur qualifie de « figures assises », les comédiens-mimes Johanne Saunier et Richard Dubelski. La dramaturgie de cet objet musical unique, particulièrement difficile à qualifier, mêle projections en temps réel des corps et des visages des acteurs présents, vidéos et photos, musiques jouées en direct et musiques électroniques préenregistrées. La partition elle-même s’articule autour des interventions poétiques et subtiles des deux musiciens. Michael Schmid joue de la flûte basse, alors qu’Eva Furrer souffle, parle, chante dans son impressionnante flûte contrebasse. Cosigné par Georges Aperghis et François Regnault, le texte prononcé par les comédiens, mais aussi une voix de synthèse qui vient les rejoindre par instants, passe du français à l’anglais et s’autorise quelques citations allusives comme cette phrase de Gustave Flaubert décrivant ce qui pourrait être observé par une caméra de surveillance…

Luna Park, de Georges Aperghis, lors de sa présentation à Odyssud. De gauche à droite dans chaque « cage » : Eva Furrer, Johanne Saunier, Richard Dubelski, Michael Schmid

– Photo Classictoulouse –

Habilement, la mémoire du spectateur est sollicitée par le retour périodique de véritables thèmes récurrents, comme le font les motifs musicaux de bien des œuvres classiques. Seulement ici, ces éléments ne sont pas seulement musicaux. Il s’agit parfois de phrases parlées, d’images furtives, d’illusions optiques obsessionnelles. Paradoxalement pour une œuvre aussi nouvelle et originale, le spectacle dans son ensemble se reçoit comme une grande symphonie classique. Une partition avec ses mouvements qui s’enchaînent, ses crescendos, ses points d’orgue, ses modulations, ses allegros et ses adagios, ses codas récapitulatives… La force poétique qui en émane s’impose au spectateur. Sa dramaturgie aussi, qui évoque irrésistiblement un univers à la Kafka, un univers tel que le cinéaste Terry Gilliam l’a si brillamment illustré dans son film culte Brazil, comme le reconnaît George Aperghis lui-même. A cet égard, quelques séquences marquent profondément le déroulement. C’est le cas de cette succession effrénée d’images de caméras de surveillance. Ou encore cet épisode final saisissant qui voit les visages des quatre participants se recomposer deux à deux sur les écrans tout en se divisant à l’extrême.

Le succès indéniable de cette œuvre repose également sur la précision avec laquelle elle est représentée. Dans la mise en scène, signée du compositeur lui-même, dans la prodigieuse mise en lumière de Daniel Lévy, dans la réalisation informatique musicale Ircam de Grégory Beller, rien n’est laissé au hasard. Aucun hiatus ne vient s’interposer entre le jeu des interprètes présents sur scène et toute la réalisation sonore et visuelle préenregistrée.

A l’issue de la représentation, une rencontre avec Georges Aperghis et l’équipe artistique a en outre permis au compositeur de lever quelques uns de ses « secrets de fabrication »… auxquels sont d’ailleurs intimement associés les interprètes eux-mêmes.

Après la réussite de Written on skin, de George Benjamin, représenté au Théâtre du Capitole, ce deuxième événement confère toute sa légitimité au cycle Présences Vocales, fenêtre ouverte sur la production musicale contemporaine de qualité.

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