Concerts

L’Orestie sauvage et forte

Le cycle Présences Vocales, qui réunit pour la diffusion des musiques nouvelles le collectif éOle, Odyssud, le Théâtre du Capitole et le Théâtre Garonne, s’enrichit d’une nouvelle présentation. Il s’agit cette fois de la création de la version intégrale de L’Orestie du compositeur d’origine grecque Iannis Xenakis. Un aréopage musical et vocal impressionnant réunit, pour l’occasion, des membres de l’Orchestre Perpignan Méditerranée, l’Ensemble polyphonique de Perpignan, dirigé par Mireille Morbelli, la Maîtrise du Conservatoire de Perpignan, dirigée par Aline Rico, et la Maîtrise du Conservatoire de Toulouse, dirigée par Mark Opstad. Le maître d’œuvre de cette audacieuse entreprise, Daniel Tosi, dirige là un événement exceptionnel auquel il insuffle une énergie inépuisable.
La création française de cette œuvre dans son intégralité a eu lieu par les mêmes interprètes au cours des Flâneries musicales de Reims, en juillet dernier. Le 20 novembre dernier, l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines recevait donc cette manifestation pour la célébration du dixième anniversaire de la disparition du compositeur. Reconnaissons qu’il faut une certaine période d’adaptation pour pénétrer le monde musical d’Iannis Xenakis. Le monde sonore devrais-je écrire, tant est vaste l’extension de la notion musicale développée par le compositeur. Néanmoins, même si quelques silhouettes furtives de spectateurs se sont échappées en cours de représentation, l’accueil du public nombreux s’est révélé particulièrement chaleureux.

L’étonnant baryton-haute-contre polonais Maciej Nerkowski dans l’épisode Kassandra de L’Orestie de Iannis Xenakis – Photo Classictoulouse –

Composée à partir de 1965, cette trilogie plonge ses racines dans la tragédie des Atrides telle qu’elle est rassemblée en 457 avant J. C. par Eschyle. L’Orestie, illustrée par Xenakis, se divise en trois épisodes majeurs de l’histoire de cette famille maudite. Le premier relate le meurtre d’Agamemnon par son épouse Clytemnestre, aidée de son amant Egisthe. Le deuxième volet raconte la vengeance exercée par Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, qui assassine sa mère. Dans la troisième partie, la déesse Athéna met un terme à ces tueries sauvages en fondant ce qui peut être considéré comme un tribunal suprême, lequel tranche en faveur d’Oreste. Cette conclusion sage marque, en quelques sortes, la naissance de la démocratie européenne.

Dans son traitement musical de la tragédie, Xenakis donne la part belle aux voix de l’ensemble choral. Incarnant alternativement le traditionnel chœur antique mais aussi les principaux personnages, les hommes interviennent dès le premier volet, rejoints par les femmes lors du deuxième et enfin par un chœur d’enfants pour la conclusion optimiste du troisième. Le langage parlé, déclamé, se mêle au chant et aux explosions d’onomatopées. Le compositeur ne cherche pas ici à caresser l’auditeur dans le sens du poil. Âpre et austère, sa partition mêle des mélodies simples et brutes à une trame instrumentale qui associe une quinzaine d’instruments classiques, flûtes, clarinettes, bassons, violoncelle, trompette, trombone et surtout une panoplie de percussions d’une prodigieuse richesse. Les chanteurs des différents chœurs sont en outre appelés à manipuler les accessoires sonores les plus divers.

Le final joyeux de L’Orestie sanglante – Photo Classictoulouse –

L’épisode central Kassandra, qui occupe une part importante du premier volet, constitue probablement le passage le plus étonnant de toute l’œuvre. Il développe un duo stupéfiant entre un baryton qui réalise d’intenses incursions dans un registre de haute-contre, et une percussion particulièrement riche et active. Cette confrontation stupéfiante est ici incarnée par le Scontri duo polonais, constitué de l’incroyable « baryton-haute-contre » Maciej Nerkowski et du percussionniste Leszek Lorent. Le chanteur passe avec une facilité déconcertante d’un registre à l’autre, s’investissant de manière totale dans la dramaturgie de son texte.

La conclusion heureuse de cette tragédie sanglante s’incarne dans l’intervention du chœur d’enfants qui, avec l’ensemble des autres intervenants, agite enfin les petits drapeaux argentés d’une victoire finale de la sagesse.

Etonnant spectacle qui ne peut laisser personne insensible.

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