Concerts

L’événement !

De retour à Toulouse où il avait déjà enflammé le public, le 22 octobre 2012, le Teresa Carreño Youth Orchestra of Venezuela, placé sous la direction de Christian Vásquez, vient de renouveler son miracle musical. Pour le dernier concert de sa saison, l’association Grands Interprètes a donc accueilli cette invasion pacifique de jeunes musiciens enthousiastes, déjà aguerris et formidablement compétents. Ce concert du 3 juin s’est achevé sur une « standing ovation » générale de toute la Halle aux Grains. Une première de mémoire de mélomane.

Christian Vásquez et ses jeunes musiciens lors du concert toulousain du 3 juin 2014

– Photo Classictoulouse –

Lors de cette nouvelle escale à Toulouse, cet orchestre de jeunes du Venezuela confirme de manière éclatante la réussite de ce projet pédagogique, un peu fou et si généreux, de formation musicale utilisée comme moyen de promotion sociale. Le Venezuela nous donne là une leçon que nos édiles devraient méditer.

Quel plaisir de voir le vaste plateau de la Halle aux Grains toulousaine envahi par une horde pacifique de jeunes (et même tout jeunes) musiciens ! C’est un orchestre de plus de cent quarante personnes qui, cette fois, se presse au point de déborder des limites du plateau. Une forêt de violons, une armée de violoncelles, pas moins de quatorze contrebasses ont du mal à ne pas de gêner. Mais tout se passe dans la bonne humeur, les sourires éclatants, la complicité bon enfant et néanmoins en bon ordre.

Tout au long de la soirée, ce qui frappe le plus, ce qui met du baume au cœur, c’est précisément le bonheur évident qui rayonne sur tous ces visages. Non seulement le plaisir de jouer (dans les deux sens du terme) se lit dans tous les regards, mais ces sourires échangés entre les musiciens, même pendant l’exécution, témoignent de la profonde ferveur qui anime leur action. Un grand merci à José Antonio Abreu, le fondateur généreux à qui l’on doit l’existence de ce projet encore baptisé El Sistema.

La forêt des violons – Photo Classictoulouse –

Si le résultat musical d’un ensemble de tout jeunes musiciens issus de milieux modestes n’atteignait pas les niveaux de qualité des grands orchestres du moment, on serait particulièrement indulgent. Mais il n’en est point besoin ! Les qualités musicales délivrées par les exécutions de cet orchestre stupéfient. La précision, la justesse, la beauté des timbres instrumentaux, une cohésion absolue, une dynamique illimitée concourent à canaliser une énergie qui se manifeste toujours à bon escient. Il serait injuste de ne pas insister sur le rôle fondamental que joue le (jeune lui aussi !) chef d’orchestre de cette phalange, Christian Vásquez, bien connu des Toulousains également pour ses apparitions à la tête de l’Orchestre National du Capitole. Voici un « leader » qui sait organiser, maîtriser, mener à son terme une conception musicale.

Le programme de cette belle soirée s’ouvre sur une rutilante exécution de l’ouverture Le Carnaval Romain que Berlioz intégra à son opéra mal aimé Benvenuto Cellini. Menée dans la progression d’une agitation joyeuse, son interprétation ménage de beaux moments de poésie (un grand bravo à la soliste au cor anglais !) et le déploiement d’une dynamique sans contrainte.

Christian Vásquez à la tête du Teresa Carreño Youth Orchestra of Venezuela

– Photo Classictoulouse –

Avec la Suite n° 2 du ballet Le Tricorne, de Manuel de Falla, les musiciens abordent un rivage familier de leur culture hispanique. Les trois volets qui composent la partition conduisent progressivement de la grâce chaleureuse à la furia de la Jota finale. Admirons une fois encore l’enthousiasme communicatif qui embrase tout l’orchestre, à l’image de la jeune fille, aussi gracile qu’énergique, qui occupe le poste de Concertmaster et manie son archet comme si sa vie en dépendait.

Après l’entracte, la Symphonie n° 5 de Tchaïkovski, l’avant-dernière du triptyque du Fatum, offre aux interprètes un terrain d’expression sans limite. Christian Vásquez teint la barre avec intelligence et sensibilité. Il utilise le célèbre thème récurrent qui ouvre l’œuvre comme le leitmotiv implacable de ce destin tragique qui finira par abattre le compositeur au lendemain de sa 6ème Symphonie. Un leitmotiv que l’on retrouve dans les quatre mouvements, chaque fois sous une forme différente. La puissance expressive des cordes joue ici un rôle inégalé. Aux développements contrastés de l’Allegro initial succède la poignante méditation de l’Andante cantabile. Le périlleux solo de cor est ici admirablement joué. La puissante exaltation qui enflamme les pupitres de cordes donne la chair de poule. Quelle intensité dans les crescendos sans limite ! La gorge se noue…

Les musiciens porte-drapeaux du Venezuela se déchaînent ! – Photo Classictoulouse –

La valse de l’Allegro moderato apporte un apaisement passager que vient assombrir le retour du fameux leitmotiv. Dans le Finale, un optimisme obstiné, aveugle peut-être, conduit à la transformation de ce thème menaçant en marche triomphale. L’orchestre s’embrase littéralement. L’auditeur est emporté dans un tourbillon ascendant, irrésistible mais toujours parfaitement dominé par les interprètes.

L’ovation du public touche au délire. Après quelques allers et retours du chef, la salle est brutalement plongée dans l’obscurité. Lorsque revient la clarté…

C’est la fête !

Les musiciens et le chef ont revêtu leur blouson aux couleurs du Venezuela. Les trois bis qu’ils offrent au public sidéré s’accompagnent de danse, de cris, de trépignements. Réglée comme du papier à musique (c’est vraiment le cas de le dire !), mais pourtant avec une spontanéité jubilatoire, une chorégraphie hilarante mobilise tous les musiciens. Le fameux Tico Tico, de Zequinha de Abreu, puis le non moins célèbre Mambo, de Leonard Bernstein, et enfin le délirant Popurrí (sic!) de Pérez Prado fournissent aux musiciens et au public une parfaite conclusion, un moyen idéal de relâcher la pression accumulée tout au long du concert. Le bonheur est là, tout simplement.

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