Le jeudi 4 décembre dernier, le chef américain Ryan Bancroft retrouvait l’Orchestre national du Capitole en compagnie du grand violoniste français Renaud Capuçon dans un programme musical plein de surprises et de contrastes. Un public curieux et convaincu est venu découvrir ce programme dont la plupart des œuvres constituaient des premières auditions toulousaines.
De Caroline Shaw, compositrice américaine née en 1982, l’orchestre joue en ouverture la pièce intitulée Entr’acte initialement conçue pour quatuor à cordes. Les habitués des concerts des Clefs de Saint-Pierre ont entendu la version originale de cette partition lors de la soirée du 13 octobre dernier. Entr’acte s’inspire de l’un des mouvements du quatuor de Haydn, l’opus 77 n° 2 en fa majeur qui était d’ailleurs joué lors de ce concert du 13 octobre. La version pour orchestre donnée ce 4 décembre est exécutée par l’ensemble généreux des cordes de l’orchestre. Les instruments dialoguent dans un déploiement de sonorités étranges, inquiétantes : atonalisme latent, frappe des archets sur le bois des instruments, pizzicati décalés, autant de pratiques très 21ème siècle. De l’inquiétude distillée par le premier mouvement l’atmosphère évolue vers l’émergence d’une plainte, jusqu’à un touchant solo final de violoncelle.
L’œuvre suivante est également une transcription, celle de la Sonate en sol majeur pour violon et piano composée par Maurice Ravel entre 1922 et 1927, jouée cette fois dans une version orchestrée par le compositeur français Yan Maresz. Son voyage en Amérique en 1928 conforte Ravel dans son admiration pour la musique de jazz qui imprègne sa sonate, notamment dans son deuxième volet, intitulé Blues. Dans la version orchestrale qui conserve cette couleur « jazzistique », la partie de piano est confiée à l’orchestre tandis que la partie de violon reste quasiment identique à celle de l’œuvre originale. Renaud Capuçon joue la partie soliste avec toute la familiarité qui le lie au compositeur du Boléro. Après le lyrisme dramatique qui imprègne l’Allegretto initial, une certaine ironie émane de Blues. Le mouvement final s’achève sur une course folle presque frénétique.

Acclamé par l’ensemble du public, Renaud Capuçon offre un bis rare : l’Etude pour violon composé par Richard Strauss et inspirée de son opéra Daphne. Un havre de paix après le déferlement précédent !
Deux œuvres aux caractéristiques opposées occupent toute la deuxième partie de la soirée. La Halle aux Grains découvre tout d’abord « 4’33 » du compositeur américain John Cage (1912-1992). Cette audacieuse pièce de 1952 est souvent décrite comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence ». Comme le proclame John Cage, « Le silence est une vraie note » … Alors, le chef accède à son estrade, donne un signe de départ aux nombreux musiciens qui occupent le plateau et… le silence s’instaure dans la salle et dure exactement quatre minutes et trente-trois seconde que le chef vérifie sur le chronomètre de son pupitre. Implicitement, l’œuvre elle-même est en fait constituée des sons de l’environnement que les auditeurs entendent ou produisent. Et ce soir-là, le public joue le jeu. A part quelques rares toux (plutôt moins que d’habitude…), le temps s’écoule avec sérénité. A l’issue de cette « exécution » le chef remercie les musiciens confrontés à leur partition blanche. L’expérience est appréciée par l’ensemble des auditeurs !

Le contraste avec l’œuvre suivante est véritablement explosif. Harmonielehre, composition écrite en 1985 par l’Américain John Adams, complète donc ce programme. Le titre de cette partition, pouvant se traduire par Étude de l’Harmonie, est également le titre d’un ouvrage d’Arnold Schoenberg auquel elle rend hommage. Adams a déclaré que cette pièce lui avait été inspirée par un rêve qu’il avait eu, dans lequel, roulant sur le pont reliant San Francisco à la Baie de Oakland, il aperçut un pétrolier à la surface de l’eau se tourner brusquement vers le ciel et décoller comme une fusée Saturn V. L’incroyable dynamique suggérée par cette image imprègne l’ensemble du premier mouvement, balisé de tutti cataclysmiques, avec l’apaisement passager d’un solo de cor, magnifiquement exécuté par le soliste, Thibault Hocquet. Le deuxième volet, intitulé « Les blessures d’Amfortas » expose la souffrance d’un personnage du Parsifal de Wagner, un compositeur auquel l’orchestration d’Harmonielehre se réfère à l’évidence. Cette souffrance semble s’incarner dans un très beau solo de trompette que l‘on doit à Hugo Blacher.

Le dernier mouvement, « Meister Eckhardt and Quackie », inspiré d’un rêve fantastique, est dirigé et joué avec une rage qui explose sous la forme d’une folie obsessionnelle.
L’ovation rappelle de multiples fois Ryan Bancroft sur le plateau où il félicite les musiciens qui l’applaudissent en retour.
Serge Chauzy
Programme
- Caroline Shaw : Entracte
- Maurice Ravel : Sonate pour violon (orchestration de Yan Maresz)
- John Cage : 4’33
- John Adams : Harmonielehre
