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Déodat de Séverac, la présence lointaine

Anne Le Bozec, devant la statue de Clémence Isaure, présentant les oeuvres jouées au cours du concert - Photo Classictoulouse -

Le 17 novembre dernier, la grande pianiste Anne Le Bozec présentait, au salon Clémence Isaure de l’hôtel d’Assézat, un récital particulièrement original autour de la personnalité du compositeur Déodat de Séverac (1872-1921). Il s’agissait ce soir-là d’une des nombreuses manifestations musicales organisées par le Festival qui porte le nom de ce compositeur fortement lié à notre région et qui se déroule sous la forme de deux sessions annuelles.

Le Festival Déodat de Séverac a été créé en 1989 à St Félix Lauragais, village natal du compositeur, par son petit-fils Gilbert Blacque Belair, afin de redonner vie à l’œuvre de son grand père qui s’enracine dans les terroirs du Languedoc et de la Catalogne. A la suite du décès prématuré de son fondateur en 1992, la direction du festival a été assumée par le chanteur lyrique Jean-Jacques Cubaynes qui en organise activement le déroulement.

Jean-Jacques Cubaynes, le Directeur du Festival Déodat de Séverac – Photo Classictoulouse –

Les concerts et manifestations – stages, colloques, expositions – du Festival associent domaines musicaux traditionnels et savants, en privilégiant la création et la diffusion d’œuvres musicales en langue occitane et en favorisant les rencontres d’interprètes de cultures et de traditions différentes.

Le Festival est attaché à son enracinement rural, à St Félix Lauragais et plus généralement en Lauragais, où ont lieu toutes les manifestations de ses Estivales de juin à la mi-août. Il se décentralise ensuite à Toulouse pour ses Automnales en novembre. C’est dans ce cadre « toulousain » que ce concert du 17 novembre a permis à Anne Le Bozec de proposer une carte blanche autour du compositeur. Introduit par Jean-Jacques Cubaynes, le concert est donc animé et présenté par l’interprète elle-même.

Lauréate de fondations et de concours internationaux prestigieux, Anne Le Bozec est bien connue des mélomanes toulousains notamment pour ses récitals en duo avec Sandrine Tilly, flûte solo de l’Orchestre national du Capitole. Elle a en outre assumé la direction de nombreux concerts à l’Opéra national du Capitole, en particulier en avril dernier lors d’une mémorable version pour piano de l’opéra Pénélope de Gabriel Fauré.

Elle présente son récital du 17 novembre comme un ensemble de musiques en miroir autour de l’œuvre de Déodat de Séverac, avec, comme fil rouge de son programme particulièrement bien conçu, les cinq mouvements de sa Suite Cerdaña. Commentée avec sensibilité et finesse par l’interprètes elle-même, la succession des pièces musicales s’organise en quatre étapes dont chacune est caractérisée par un thème particulier.

Anne Le Bozec – Photo Classictoulouse –

La première séquence se fonde sur l’amitié qui a uni Déodat de Séverac et Isaac Albéniz. Le premier mouvement En tartane, de la Suite Cerdaña, musique intense, colorée, ensoleillée, fait écho à un extrait du premier cahier d’Ibéria, aux caractères similaires, du compositeur espagnol.

La deuxième groupe évoque les sonneries de cloches à travers deux compositeurs proches de Déodat : la pianiste et compositrice Blanche Selva, l’amie fidèle et l’interprète, et Claude Debussy qui dit de Déodat : « Il fait de la musique qui sent bon et l’on y respire à plein cœur ». Le jeu vivant, vibrant et sensible de la pianiste anime cette séquence contrastée, à la fois poétique et parfois dramatique.

Deux pièces de Debussy encadrent La Vasque aux colombes de Déodat de Séverac dans la troisième étape liée à la nature et aux chansons. Cette partition inachevée du compositeur occitan a été terminée par la fidèle Blanche Selva. Son écriture, comme celle des œuvres qui l’accompagnent, semble héritée (comme le fait remarquer Anne Le Bozec) d’un Jean-Philippe Rameau contrapuntique. Bruyères et surtout Jardin sous la pluie, de Claude de France, évoquent poétiquement un passé de chansons populaires. En particulier avec la citation, dans cette dernière pièce, de « Nous n’irons plus au bois » dont l’histoire leste (liée aux maisons de prostitution…) nous est rappelée par l’interprète qui en exalte néanmoins toute la poésie !

La pianiste au salut – Photo Classictoulouse –

Le quatrième et dernier épisode réunit encore Déodat de Séverac et Claude Debussy pour une évocation des échanges entre Cerdagne et Espagne. Une succession d’images colorées émane du deuxième mouvement Les Fêtes extrait de la Suite Cerdaña, alors que la complainte Les Muletiers devant le Christ de Livia prend sous les doigts d’Anne Le Bozec une rutilance presque orchestrale. Un caractère qui se prolonge avec la célèbre Soirée dans Grenade (extraite des Estampes) de Debussy. Le retour des muletiers, cinquième volet de Cerdaña met un terme à ces échanges en miroir d’une originalité et d’une richesse admirables.

Un grande ovation salue légitimement la belle performance musicale de l’interprète et la pertinence de ses commentaires et présentations particulièrement pédagogiques. Elle offre alors un bis signé Debussy, la première pièce des Estampes, Pagodes.

Longue vie au Festival Déodat de Séverac !

Serge Chauzy

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