Deux jeunes artistes bourrés de talents animaient la soirée du 28 mars dernier de la saison des Arts Renaissants. Le violoncelliste Jean-Guilhen Queyras et le pianiste Alexandre Tharaud proposaient aux mélomanes un programme raffiné et intelligemment contrasté dont la dernière partie, subtilement viennoise, surprenait autant qu’elle charmait.
Une complicité admirable s’établit immédiatement entre ces deux personnalités d’une grande richesse. Complicité ne signifie pas unanimité. La mobilité du toucher, l’étonnant travail sur le phrasé, le contrôle impressionnant du vibrato caractérisent le jeu du violoncelliste, alors que son partenaire pianiste éclaire le sien d’une lumière qui met en valeur sa fluidité et une paradoxale liberté dans la rigueur.
L’émouvante première partie consacrée à Franz Schubert s’ouvre sur une transcription pour violoncelle et piano de la première sonate pour violon et piano. Grâce et légèreté naturellement assumées parcourent l’interprétation des deux compères. Avec la fameuse sonate « Arpeggione », initialement composée pour un instrument aussi hybride qu’éphémère, les interprètes investissent dans la grandeur. Grandiose ouverture sur la souffrance, le premier mouvement est parcouru de convulsions profondes et de moments de révolte. L’adagio central prend des allures de Voyage d’hiver, alors que le final ne se contente pas de divertir. Le piano, clair comme l’eau, mais puissant d’expression soutient un violoncelle aux phrasés d’une merveilleuse richesse.
Leur vision contrastée de la belle sonate de Debussy ne craint ni le plein soleil, ni les abîmes noirs. Jeu fantasque et bouillonnant confère une vie frémissante à cette partition rare.
Vient enfin ce fameux cocktail viennois associant la glace et le feu. Le duo de musiciens décide en effet d’enchaîner l’angoisse des 4 pièces op. 5 d’Alban Berg, écrites pour clarinette et piano et opportunément transcrites ici pour le violoncelle, sur trois des délicieux bonbons viennois composés pour son propre violon par le grand Fritz Kreisler : Schön Rosmarin, Liebesleid et Liebesfreud. Mélange chaud-froid ou sucré-salé, qui alimente la vision d’une Vienne aussi riche que diverse. De l’étreinte un rien morbide des pièces de Berg à la joie de vivre de celles de Kreisler, le talent des interprètes est à son zénith.
Deux pièces de Poulenc qui mêlent la gouaille et la tendresse du « moine voyou », jouées en bis, concluent ce beau concert sur un élan de vitalité.