Concerts

Bach mention très bien !

Sortir d’un concert les yeux humides et le sourire aux lèvres représente un privilège rare que l’on doit à la seule musique. De nombreux spectateurs de la soirée Grands Interprètes du 21 mai dernier ont dû éprouver ce même bonheur. L’invité prestigieux, le Bach Collegium Japan, sous la direction de son passionnant et passionné fondateur, Masaaki Suzuki, présentait un programme consacré à Johann Sebastian Bach.
Créé en 1990, le Bach Collegium Japan se dédie avec ferveur à l’œuvre instrumentale et vocale du grand ordonnateur de la musique occidentale. Certains peuvent s’étonner que nous vienne d’Extrême-Orient une vision aussi « authentique » d’une culture si profondément européenne. C’est peut-être oublier trop vite que la nature humaine reste une et indivisible, au-delà des nuances et des différences. La diversité est un atout irremplaçable et l’éducation constitue le pont salutaire entre les civilisations. Mais revenons à Bach !

Le Bach Collegium Japan dirigé par Masaaki Suzuki – Photo Classictoulouse –

Chevelure immaculée, ardeur du geste, direction précise et expressive, Masaaki Suzuki anime son ensemble constitué d’une vingtaine de chanteurs (solistes et choristes mêlés) et d’une autre vingtaine de musiciens. Un effectif confortable et tout-à-fait conforme aux nécessités des cantates, messes et passions de Bach. Deux cantates et le célèbre Magnificat en ré majeur sont inscrits au programme de la soirée toulousaine.

La bouleversante cantate « Ich hatte viel Bekümmernis » (J’avais tant de peine), BWV 21, l’une des plus élaborées et des plus développées de la vaste série, est un chef-d’œuvre absolu. Son caractère douloureux et même tragique émerge dès la Sinfonia initiale. Masaaki Suzuki lui confère une couleur de désolation. L’émotion étreint chaque fidèle, chaque auditeur. Le chœur prolonge avec ferveur cette affliction. Comment ne pas éprouver pour soi-même la répétition angoissée de « Ich » (Je), comme des sanglots de souffrance. Les silences qu’il souligne génèrent une terrible angoisse..Toute la cantate s’écoute comme une montée progressive de l’ombre vers la lumière, une progression que le chef ménage avec une science et une sensibilité confondantes. Admirable duo entre la soprano et le hautbois. Le timbre angélique, lumineux, de Hana Blažiková trouve les accents, les nuances que le hautbois caresse avec douceur. La conviction et l’ardeur du splendide ténor James Gilchrist, qui finit par ranimer la flamme de la joie finale, la tendresse du duo entre la soprano et la basse, Peter Kooij, Jésus apaisant, conduisent au chœur final avec trompettes (et quelles trompettes, virtuoses et éclatantes !) et timbale. Un vrai bonheur !

L’ensemble réduit pour l’exécution de la cantate « Bekennen will ich seinem Namen », avec

le contre-ténor Robin Blaze – Photo Classictoulouse –

La seconde partie de la soirée débute par la très courte cantate « Bekennen will ich seinem Namen » (Je veux reconnaître son nom), BWV 200. Un motet plus qu’une véritable cantate. Le changement d’atmosphère est flagrant. L’effectif instrumental réduit à un petit ensemble de chambre, deux violons, un violoncelle et l’orgue positif (tenu par Masaaki Suzuki lui-même), soutient avec tendresse le seul soliste, ici l’excellent contre-ténor Robin Blaze. L’atmosphère paisible, calme, évoque une douce berceuse.

C’est avec le somptueux Magnificat BWV 243 que se conclut le programme officiel de la soirée. Là aussi c’est à un nouveau changement d’atmosphère que nous convie le compositeur. Contrairement aux cantates, le texte, qui reprend les paroles de la Vierge, est ici en latin. L’ouverture triomphale convie le chœur, les trompettes et la timbale dans une explosion de lumière. Un grand bravo au pupitre de trompettes naturelles qui s’acquitte de sa tâche délicate avec brio ! La soprano 2, Rachel Nicholls (pour le Et Exultavit), la soprano 1, Hana Blažiková (Quia respexit), la basse Peter Kooij (Quia fecit) participent avec talent à la trajectoire ascendante que construit le chef dans cette nouvelle marche vers la gloire. L’ardeur vocale du ténor se déploie avec héroïsme dans le fameux et redoutable Deposuit. En outre, Masaaki Suzuki choisit opportunément de confier le Suscepit Israël, non pas au grand chœur, mais aux trois voix solistes aigües : soprano 1, soprano 2, alto (ici contre-ténor). La déclamation y trouve une intensité, une noblesse particulièrement touchantes. L’intervention émouvante du hautbois d’amour renforce encore l’intime beauté de cet épisode. Enfin le Gloria Patri couronne cette exécution d’un éclat solaire.

Le grand succès public de cette soirée obtient des interprètes un bis mémorable. Le Dona nobis pacem de la sublime Messe en si mineur ouvre une porte sur le ciel…

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