Acclamée comme un rocker par une Halle aux Grains enthousiaste, la grande Cecilia Bartoli reçoit, ce 18 décembre, une ovation debout à l’issue de son concert toulousain donné dans le cadre de Grands Interprètes. Elle vient de fasciner un public ébahi avec un programme de musique baroque rarissime qu’elle-même a tout récemment sorti de l’oubli et dont elle a réalisé un très bel album CD. La cantatrice romaine redonne ainsi vie aux arias d’un certain Agostino Steffani, sorte de chaînon manquant entre Monteverdi et Vivaldi. Un nom qui grâce à elle vient d’émerger de l’anonymat pour le bonheur des mélomanes.
Le kammerorchestrerbasel et Cecilia Bartoli, ici en duo avec le trompettiste Simon Lilly (à gauche)
– Photo Classictoulouse –
La virtuosité sans faille de la belle Cecilia fait désormais partie de la légende. Sa générosité musicale, son pouvoir de communication avec musiciens et public également. Ce programme Steffani est le résultat d’un véritable projet de recherche musicologique mené sur la durée, comme la cantatrice le décrit avec passion dans l’entretien qu’elle nous a gentiment accordé la veille de son concert toulousain. C’est avec conviction qu’elle l’exporte et le défend dans une tournée de récitals qui s’achève précisément ce 18 décembre à Toulouse.
Cecilia Bartoli est ici brillamment accompagnée par le kammerorchesterbasel, dirigé depuis son violon par la très volontaire et musicienne Julia Schröder : un très bel orchestre jouant, comme il se doit, sur instruments anciens, et composé de musiciens de grands talents dont il faut saluer les performances individuelles autant que celles de l’ensemble.
Dans l’intimité de la confidence – Photo Classictoulouse –
Après une ouverture de l’ouvrage Henrico Leone jouée avec un panache éblouissant, l’entrée de la cantatrice se fait en deux temps. Celui de la virtuosité sans limite de l’air « Schiere invitte, non tardate », extrait de Alarico il Baltha, et celui de la lamentation avec le bouleversant « Sposa, mancar mi sento… », de Tassilone. Toute la palette expressive dont Cecilia Bartoli se montre capable réside déjà dans ces deux airs d’une profonde beauté. Tout au long de la soirée, l’interprète parcourt avec une aisance et une énergie incroyables l’arc en ciel des « affects» qui caractérisent ce riche répertoire et en nourrissent la substance.
L’Aria « Amami, e vederai », extrait de Niobe, regina de Tebe, restera comme l’un des sommets d’émotion de tout ce programme. Accompagnée par le seul théorbe (excellent Michele Pasotti), sur la basse continue du violoncelle et du clavecin, la soliste explore tous les méandres d’une irrésistible séduction. La beauté d’un legato charmeur, le souffle illimité, le sourire nostalgique dans le chant… on rend les armes ! L’humour n’est certes pas absent du tableau. L’exemple de la scène et aria de Sabina « Sì, sì, reposa o caro… », extrait de Alarico il Baltha, est à cet égard significatif. Le sommeil semble gagner peu à peu la cantatrice qui conclut sur un bâillement laissant le texte sur un inachèvement suspendu !
Cecilia Bartoli en duo avec la hautboïste Kerstin Kramp – Photo Classictoulouse –
La poésie nocturne de quelques airs délicieux enrichit encore la diversité expressive du programme comme de l’interprète. Notamment dans « Notte amica al cieco dio », de La libertà contenta, la musique se pare des couleurs des éléments naturels évoqués par la percussion : hululements pleins de douceur, souffle d’un vent léger… On admire également la participation des solistes de l’orchestre à quelques arias particulières. La trompette naturelle de Simon Lilly, en particulier dans l’aria extraite de Tassilone, « A facile vittoria », fait des merveilles. Le défi que se lancent avec humour l’instrument et la voix réjouit et déclenche un rire général. Le hautbois virtuose de Kerstin Kramp se mesure crânement avec la voix. La séquence finale qui associe « Mie fide schiere, all’armi » de I trionfi del fato et « Suoni, tuoni, il suolo scuota » de Arminio, déclenche un véritable feu d’artifice vocal et instrumental qui soulève l’ovation du public ébloui.
La générosité de Cecilia Bartoli n’offre pas moins de quatre bis. Elle retrouve alors Haendel dont elle défend le répertoire avec constance et enthousiasme. Des airs extraits de divers ouvrages balaient une fois de plus tous les affects du baroque. De « Scherza in mar », extrait de Lotario, à cet échange incroyable associant la trompette et le hautbois à la voix, « Desterò all’empio dite », extrait de Amadigi, en passant par l’indispensable et hypnotique « Lascia la spina », de l’oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, la cantatrice, et ses complices sous le charme, enflamment ce bouquet final.