Pour sa série de concerts d’abonnement du mois de février, l’Orchestre de Chambre de Toulouse établit un dialogue fructueux entre deux compositeurs presque contemporains, Antonio Vivaldi et Jean-Marie Leclair. Gilles Colliard lui adjoint une confrontation pacifique entre le violon, instrument à quatre cordes ayant survécu aux siècles de musique, et la viole d’amour, munie de quatorze cordes et devenue pratiquement obsolète avant la fin du dix-huitième siècle.
Associer Vivaldi et Leclair se justifie à plusieurs titres. Comme le rappelle Gilles Colliard dans sa présentation des œuvres jouées ce 19 février, la qualité de lumière de leur musique contraste avec ce que l’on connaît du tempérament difficile de chacun de ces deux créateurs. Et puis rappelons qu’ils connaissent tous deux une fin de vie inattendue. Le prêtre roux de Venise, le maintenant très célèbre Vivaldi, disparaît dans la misère noire à Vienne en 1741. Quant au virtuose de l’archet que fut Leclair, il meurt assassiné dans la nuit du 22 au 23 octobre 1764 à Paris.
Gilles Colliard et sa viole d’amour dans l’aria de Buxtehude avec Samuel Crowther, clavecin, Anne Gaurier, viole de gambe et Etienne Larrat, violoncelle
– Photo Classictoulouse –
Le premier volet de la soirée brosse un portrait attachant d’Antonio VivaIdi. La Sinfonia en ut RV 719, qui ouvre le concert n’est autre que l’ouverture de l’un de ses quarante-quatre opéras connus, Le couronnement de Dario. Des trois mouvements, qui témoignent du génie mélodique du compositeur, se détache l’admirable nocturne central. Les cordes toulousaines tissent là un discours sensible et nuancé. Vient alors la présentation de cette mystérieuse viole d’amour qui connut une gloire fugace à l’époque baroque, même si quelques compositeurs postérieurs à Bach prolongèrent sa pratique (Paul Hindemith et Frank Martin furent de ceux-là au vingtième siècle). Ses cordes métalliques sympathiques, qui vibrent en résonance avec ses cordes « normales » en boyaux, lui confèrent une douce sonorité, un peu nostalgique, comme voilée. Gilles Colliard, qui s’y investit avec audace, offre tout d’abord une courte pièce de Buxtehude. Cette sonate à trois associe la viole d’amour à la viole de gambe jouée avec sensibilité par Anne Gaurier, le duo étant soutenu par une basse continue clavecin-violoncelle. Dans le concerto en ré mineur pour viole d’amour et cordes qui suit, Vivaldi exploite toutes les possibilités virtuoses et expressives de l’instrument soliste. Reliant le mouvement lent au final, Gilles Colliard improvise, bien dans la tradition baroque, une cadence éblouissante qui révèle d’étonnantes possibilités sonores et éloquentes : traits en harmoniques, arpèges délicates, cordes multiples.
C’est ensuite le retour du plus traditionnel violon, en l’occurrence, le beau et chaleureux Guarnerius de Gilles Colliard. Le concerto en la mineur, toujours de Vivaldi, expose une fois de plus l’incroyable facilité mélodique du compositeur. Au tendre rythme de sicilienne du mouvement lent succède un final comme animé d’une fureur folle et énergique.
Gilles Colliard, soliste du concerto pour violon et cordes en la mineur de Vivaldi
– Photo Classictoulouse –
Par comparaison, l’art de Jean-Marie Leclair fleure bon l’élégance française. Plus formelle, mais nimbée d’une certaine grâce de l’écriture, sa musique transcende le caractère de danse qui en constitue la trame essentielle. C’est bien le cas dans la Suite pour orchestre à cordes extraite de l’opéra Scylla et Glaucus (1746). Grâce et élégance se retrouvent dans les six volets aux titres de danse, précisément. Aucun excès ni folie « vivaldiennes » ne viennent déranger la belle ordonnance d’un jardin à la française d’où se détache la tendre musette.
C’est sur le très beau concerto pour violon et cordes n° 2, op. 7 en ré majeur, que se conclut le programme. Une très belle surprise que vient épicer un mouvement lent rythmé comme un battement de cœur et un final virtuose, carrément ornithologique, comme ponctué d’incroyables chants d’oiseaux.
Répondant aux rappels chaleureux du public, Gilles Colliard annonce un bis à la mémoire d’Aimée Auriacombe, disparue au début de ce mois de février à l’âge de 96 ans. Fondatrice, avec son célèbre époux Louis Auriacombe, de l’Orchestre de Chambre de Toulouse, elle a longtemps joué un rôle important dans l’évolution de cette formation qui lui tenait à cœur. Une émouvante aria pour cordes de Dall’Abaco tient lieu d’hommage à la grande dame disparue.