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Lucas Debargue : une forte et attachante personnalité musicale

Comme il est réconfortant de constater l’incroyable diversité des jeunes talents du piano ! Le festival international Piano aux Jacobins joue ici, en particulier lors de cette 37ème édition, le rôle de révélateur de cette nouvelle génération d’artistes. Lucas Debargue, qui vient d’être acclamé lors de son récital du 13 septembre dernier, a créé l’événement en 2015 au XVème Concours Tchaïkovski. S’il a obtenu « seulement » le 4ème Prix de la prestigieuse compétition moscovite, il a bénéficié du très révélateur Prix de la Critique qui a ainsi mis en lumière sa personnalité singulière.
Sa première participation au festival toulousain s’est déroulée devant un cloître plein à craquer. Elle a recueilli tous les suffrages d’un public sous le charme de son programme et de ses approches très personnelles des œuvres choisies avec intelligence et interprétées avec une évidente passion.

Au programme initialement conçu, de Mozart à Liszt en passant par Chopin et Ravel, Lucas Debargue rajoute une introduction de choix avec la sonate K 132 de Domenico Scarlatti. De son propre aveu, son compositeur préféré. Un feu d’artifice ! Dans les quelques minutes que dure cette goûteuse miniature, le pianiste convoque les plus incroyables idées musicales. Esprit, tendresse, humour jaillissent à chaque instant grâce au toucher acéré, au staccato lumineux d’un jeu éblouissant de nuances, de subtilité, de finesse. Le bonheur !

Le jeune pianiste français Lucas Debargue à l’issue de son récital

– Photo Classictoulouse –

Cette pièce initiale s’enchaîne directement avec la Sonate en la mineur KV 310, de Mozart, celle-là même que Richard Goode avait jouée lors du concert d’ouverture de ce même festival. Rappelons que cette rare sonate de Mozart écrite sur un mode mineur fut composée à la suite du décès de sa propre mère. Lucas Debargue l’aborde avec un jeu d’une violence implacable qui n’obère en rien un soin particulier apporté à chaque nuance. L’Allegro maestoso rugit de colère. Même l’Andante cantabile ne se départit pas d’une certaine rage. Un rien de legato lors des moments de détente ne nuirait tout de même pas à la palette expressive. L’intensité du Presto final boucle la boucle de ce cri de révolte.

Dans la Ballade n° 4 en fa mineur de Frédéric Chopin qui suit, la même urgence se manifeste. Passée la douceur relative des sept premières mesures, une éloquence torrentielle confère à l’œuvre une ampleur symphonique. Si l’on n’est pas vraiment habitué à un tel déploiement de violence dans la musique de Chopin, le parti-pris de l’interprète s’avère pleinement convaincant. L’accueil délirant et justifié du public en est un témoignage.

La seconde partie de la soirée s’ouvre sur la partition qui est devenue l’emblème du jeune pianiste et qui lui a assuré le succès au Concours Tchaïkovski, le sublime triptyque Gaspard de la nuit, de Maurice Ravel. D’une redoutable difficulté technique et d’un pouvoir expressif fascinant, ce défi pianistique fut composé en 1908, d’après trois poèmes en prose extraits du recueil éponyme d’Aloysius Bertrand. Lucas Debargue s’approprie l’œuvre avec une maîtrise et une intensité qui éblouissent. La fluidité ductile du premier volet Ondine ne masque rien de la sombre inquiétude qui parcourt toute la pièce. Le grand crescendo ascendant, comme balayé par les vagues, donne le frisson. Dans Le Gibet, l’atmosphère blafarde et lugubre éclaire le paysage que ponctue ce « rythme de plomb » évoqué par Alfred Cortot. Le jeune pianiste y passe la partition aux rayons X, avec une lucidité étonnante. Enfin, Scarbo laisse éclater tous les maléfices de l’univers. La dynamique qui se déchaîne ici confère tout son poids de terreur au texte musical. Certains passages semblent mobiliser toutes les ressources possibles de l’instrument… et de l’interprète qui conduit ainsi, avec panache, l’œuvre à sa conclusion.

Très astucieusement, le pianiste établit enfin un pont entre Ravel et Liszt. Les notes répétées staccato, de Scarbo, évoquent irrésistiblement le piano de Liszt, et en particulier les Mephisto-Valse. Aussi, termine-t-il son programme sur l’exécution de la première des quatre partitions portant ce nom diabolique. Lucas Debargue y déchaîne son implacable technique et sa volonté de pousser à l’extrême l’expression satanique de son auteur. Au point parfois de noyer la « mélodie » dans la richesse harmonique et rythmique sans limites de la pièce.

Sa générosité d’interprète répond aux acclamations du public en offrant trois bis. Après deux sonates de Scarlatti, comme un retour cyclique au début du concert, il visite le lyrisme touchant de la Valse sentimentale op. 5 n° 6 de Tchaïkovski. De quoi compléter le riche portrait d’une forte personnalité musicale avec laquelle il faudra désormais compter.

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