L’intégrale des quatuors à cordes de Beethoven constitue une sorte d’Himalaya de la musique qui s’est affirmé, au cours de siècles, comme un corpus exceptionnel. Les musiciens du quatuor Artemis viennent enfin de publier leur version de cette intégrale après un parcours passionnant dans ce monde incontournable pour tout chambriste convaincu.
Il est courant de distinguer trois périodes dans la vie créatrice de Beethoven. Si parfois cette manie de la classification possède un petit côté artificiel pour certains aspects de l’œuvre du grand novateur, reconnaissons que sa géniale production de quatuors à cordes s’accommode assez bien de cette perspective en forme de triptyque. Les six partitions de l’opus 18, conçues entre 1798 et 1800, constituent indéniablement un véritable cycle à la manière d’un recueil de lieder.
Les trois quatuors dédiés au Comte Razoumovski, puis l’opus 74, « Les harpes » et l’opus 95, « Quartetto serioso » se regroupent assez bien dans ce que certains musicologues ont appelé, à défaut de caractérisation plus originale, les quatuors intermédiaires. A partir de l’opus 127, une dimension supplémentaire fait franchir une étape vers les sublimes quatuors tardifs, aussi intenses dans leur expression que les dernières sonates pour piano. La présente intégrale comporte non pas seize quatuors, mais dix-sept. Aux seize partitions bien connues s’ajoute la transcription pour quatuor à cordes de la sonate op. 14 n° 1, effectuée par Beethoven lui-même. Un petit bonus non négligeable.
Le quatuor Artemis, fondé « par une journée d’orage de la fin de l’été 1989 », s’est immédiatement investi dans le grand œuvre beethovénien. Sa composition a évolué au cours des années. Ainsi, seuls la violoniste Natalia Prishepenko et le violoncelliste Eckart Runge sont toujours restés présents. Le violoniste et l’altiste des débuts, respectivement Gregor Sigl et Friedemann Weigle, ont cédé la place à Heime Müller et Volker Jacobsen. La présente intégrale, dont l’enregistrement s’est étalé sur plusieurs années rassemble donc les deux formations qui se sont ainsi succédé. Ni l’esprit, ni le style des interprétations n’en ont été affectés. Ce qui frappe avant tout ici, c’est l’engagement, l’énergie, la vitalité dont les musiciens font preuve à tout instant. Les tempi sont vifs, les accents vigoureux, les phrasés volontaires. A côté de l’hédonisme légendaire du fameux Quartetto Italiano, de la science subtile de l’Alban Berg Quartet, il faut donc maintenant compter avec l’élan irrésistible des Artemis. Des juvéniles partitions de l’opus 18 jusqu’aux derniers échos « Muss es sein ? Es muss sein ! » (Est-ce qu’il le faut ? Il le faut !) la tension reste palpable. Voici une somme en forme de bilan artistique pour une formation en pleine maturité.