Après avoir enregistré sur pianoforte et orgue un somptueux album consacré à Joseph Haydn, la claviériste Yasuko Uyama-Bouvard, rejointe par la violoniste Stéphanie Paulet aborde le monde mozartien. Les deux musiciennes, comme investies d’une mission présentent ici un programme d’œuvres rarement jouées bien que leur auteur soit l’un des plus présents dans les salles de concert.
Quelques-unes des « Sonates pour Pianoforte avec l’accompagnement d’un Violon » (la dénomination résume bien le contenu de ces partitions), de Mozart, sont jouées avec poésie et passion par Yasuko Uyama-Bouvard, organiste et claveciniste, ici au clavier de son somptueux pianoforte, et la violoniste Stéphanie Paulet en possession de son très beau violon « historiquement » monté. Les deux instruments, copies conformes de modèles à peu près contemporains des pièces enregistrées, dialoguent avec ferveur et volupté. Trois de ces Sonates piano-violon alternent ici avec les deux Fantaisies pour pianoforte probablement les plus intenses jamais écrites à cette époque.
Le pianoforte, acquis au bout d’années d’attente patiente par Yasuko Uyama-Bouvard, est une copie signée Christopher Clarke d’un instrument d’Anton Walter, celui-là même qui fournissait Mozart et même Beethoven.
Le violon de Stéphanie Paulet, construit en 2011 par Christian Bayon est inspiré de ceux du célèbre luthier crémonais Giuseppe Guarneri Del Gésù. Son archet est signé Duchaîne et date de 1780, l’époque exacte des pièces enregistrées.
Mais les instruments, si beaux soient-ils, ne sont que des… instruments au service d’une musique que les interprètes font vivre. C’est à quoi s’attachent les deux musiciennes qui abordent avec finesse les sonates conçues par Mozart pour son élève Josepha Auernhammer. De manière inhabituelle pour un auditeur d’aujourd’hui, la partie essentielle est ici tenue par le pianoforte. Dans le dialogue qui s’établit entre les deux instruments, le violon semble tenir le rôle du modérateur.
Dans la sonate en mi mineur, achevée à Paris en 1778, le drame qui se joue dans le premier volet trouve un écho touchant dans la nostalgie du deuxième. La sonate en mi bémol majeur, datée de 1781, frappe par l’émouvante plainte qu’exhale le volet central. La légèreté, l’humour même, du final ponctué de clins d’œil, apportent ce sourire qui réconforte. Dans la sonate en sol majeur, composée la même année à Vienne par un Mozart enfin libéré de la tutelle du Prince-archevêque Colloredo de Salzbourg, l’équilibre entre les deux instruments s’établit clairement, autant dans les couleurs que dans le jeu des questions-réponses. On admire en particulier l’agitation du deuxième mouvement et la science de la variation dont témoigne le final. La fluidité du jeu de la pianiste trouve une belle réponse dans les phrasés apaisés de la violoniste.
Avec les deux sublimes Fantaisies pour pianoforte, servant ici de ponts entre les sonates, Yasuko Uyama-Bouvard illustre en quelque sorte la célèbre phrase du grand pianiste Artur Schnabel : « Les sonates de Mozart sont uniques ; elles sont trop faciles pour les enfants et trop difficiles pour les artistes. » L’interprète, qui transcende aisément ces difficultés, en souligne les arêtes, les points de rupture, s’investit totalement dans leurs déchirements. La Fantaisie en ré mineur, tragique dans sa brièveté débute sur une sorte de récitatif poignant. Elle s’achève sur ce sourire à travers les larmes si chargé d’émotion, comme détaché de tout ce qui précède. Quant à la plus célèbre, KV 475 en ut mineur, elle représente l’aboutissement d’un pouvoir expressif extrême. L’apparente liberté qui préside à sa construction permet au compositeur et à son interprète une incroyable diversité d’émotions. De la douleur à la révolte, de l’ombre à la lumière, de l’effusion aux plages de silence, l’interprète nous prend par la main jusqu’à ces gammes ascendantes aux dramatiques implications.
Une grande et belle parution !