Il y a comme cela des artistes synonymes d’éblouissants souvenirs. Christophe Ghristi, conscient de ce que le Théâtre du Capitole représente dans la culture toulousaine, a décidé d’inviter cette saison, et pour un unique récital, l’un d’eux, en l’occurrence l’une d’elles : Annick Massis. Celle qui peut se vanter déjà, ce qu’elle ne fera pas, d’une belle carrière internationale, a souvent foulé les vénérables planches capitolines. Les aficionados se souviennent dans tous les cas de son Pedro dans le Don Quichotte de Massenet en juin 1992, et même de ce petit rôle un an avant d’Une Déportée en mai 1991 lors de la création in loco de Lady Macbeth de Mzensk. Cette toute jeune trentenaire allait ensuite revêtir des costumes beaucoup plus amples : Philine dans Mignon aux côtés de Jonas Kaufmann et Susan Graham (excusez du peu !), Lucia, Adèle du Comte Ory, Leila des Pêcheurs de perles, un somptueux récital Verdi à Saint Pierre des Cuisines avec déjà Antoine Palloc au piano. En 2019, Christophe Ghristi lui (nous) offre Lucrèce Borgia. Avec le temps, le soprano lyrique s’est rapprochée d’un véritable dramatique.

La revoici sur la scène capitoline en cette soirée du 2 décembre 2025, toujours aux côtés d’un complice attentif, le pianiste Antoine Palloc, et devant une salle venue à l’évidence saluer une artiste exemplaire. La longue ovation qui l’accueille est le témoignage de cette reconnaissance, de cet hommage.

De Fernando Obrador (Del Cabello màs sutil) à Eva Dell’Acqua (Villanelle), la première partie de son programme nous fait aussi, entre autres, croiser Antonio Vivaldi (Bajazet) et Francesco Cilea (Adriana Lecouvreur). Toute la seconde partie de la soirée est réservée exclusivement à l’opéra : Giuseppe Verdi (La Traviata), Giacomo Puccini (Gianni Schicchi) et Vincenzo Bellini (Norma). Le charme opère car le phrasé est inépuisable de ressource en souffle, les dynamiques s’enchaînent afin de plonger ces arias dans un contexte dramatique d’une formidable puissance émotionnelle qui transcende l’extraordinaire technicienne qu’est toujours Annick Massis. Les applaudissements ponctuent sa prestation et ce n’est pas la cabalette suivant le Casta Diva : Ah ! Bello a me ritorna qui va calmer l’ardeur du public. Ovation debout d’un Capitole en format finale de la coupe du monde de foot en 1998 ! C’est le moment que choisit Christophe Ghristi, alors que les bouquets de fleurs s’amoncellent sur le piano, pour venir élever, au nom de la Ministre de la Culture, Annick Massis au grade d’Officier des Arts et Lettres. Et le public de redoubler d’ovations et de bravos. Annick Massis offre alors une troisième mi-temps avec de nombreux bis dont un final du grand air de Violetta couronné d’un contre-mi bémol somptueux, mais aussi une variation sur « A la claire fontaine » qui permet à l’artiste de rappeler subtilement quelques personnages qui ont jalonné sa carrière.

Il y a des soirées que l’on devine vite inoubliables. Celle-ci en fait d’ores et déjà partie, démontrant en creux l’afición du public toulousain pour l’art lyrique.
Dans une interview qu’Annick Massis nous a accordée en janvier 2019, elle nous confiait être, avant tout, sensible aux chanteurs qui ouvraient leur âme en nous invitant à un partage.La définition même de l’artiste.
Tout est dit. Merci Madame.
Robert Pénavayre
