Entretiens | Opéra

José Cura s’empare de Maurizio dans la reprise d’Adrienne Lecouvreur au Capitole

Le ténor argentin José Cura - Photo: DR

Quel mélomane n’a pas entendu parler du ténor argentin José Cura ?  Même s’il n’était jamais venu à Toulouse jusqu’à ce jeudi 17 février 2022, l’énorme affluence et les tonnerres d’ovations qui l’ont accueilli au Capitole donnent la réponse.

Celui qui se passionne dès son plus jeune âge pour la musique, devenant chef de chorale à 15 ans, nous sommes alors en 1977, étudie la composition, la guitare et le piano. Il va aussi aborder le chant en mode privé. José Cura part ensuite pour un itinéraire musical qui le voit s’implanter en Italie, puis à Paris et à Madrid. En 1992, il rencontre Vittorio Terranova (ndlr : ténor italien né en 1942). Cette année-là il fait ses débuts à Vérone dans le Pollicino de Hans Werner Henze (1926-2012) créé en Italie en 1980. C’est le début d’une étourdissante carrière dans le monde entier Interprétant, avec une fougue scénique et une voix de lirico-spinto volcanique Don José et Otello, entre autres rôles dont il devient la référence et qui sont restés dans les annales. Dès 2002, José Cura, en musicien accompli, se tourne occasionnellement vers la direction d’orchestre, puis vers la mise en scène, sans jamais pour autant délaisser complètement sa carrière de chanteur. Malheureusement Ignoré des directeurs du Théâtre du Capitole pendant ces nombreuses années qui ancrèrent sa gloire, il aura fallu attendre Christophe Ghristi pour que José Cura foule les planches capitolines.  Après le programme de chansons de son pays natal du récital de février 2022, ce ténor revient au Capitole dans la reprise d’Adrienne Lecouvreur de Francesco Cilea.

Rencontre… sans filtre!

Classictoulouse :  C’est Christophe Ghristi qui vous a invité en février 2022 à faire vos débuts au Théâtre du Capitole. Ce soir-là vous avez mis à votre programme des chansons argentines. Comment s’est décidée votre participation à Adrienne Lecouvreur ?

 José Cura : Je dirais presque ce même soir pendant le dîner ! La rencontre avec le public de Toulouse a été si intense et satisfaisante, même pendant ces mois où le Covid nous tenait encore sous sa coupe, que lorsque Christophe m’a « sondé » pour Adriana, je n’ai pas hésité une seule seconde. –

José Cura sur la scène du Capitole le 17 février 2022 aux côtés de Katalin Csillagh (piano) et Barbara Kubikova (guitare)

N’est-ce pas un peu intimidant de chanter un rôle créé par Caruso ?

L’intimidation n’est pas le mot. Si nous avions peur d’assumer des rôles créés par des chanteurs légendaires, notre forme d’art serait morte depuis plus de cent ans. C’est pourquoi, plus qu’intimidation, je pense que le mot juste est respect. Un respect, cependant, fondé sur l’admiration pour la légende, et non sur l’acceptation de sa version du rôle comme absolue.  

Quelle est la tessiture de ce rôle ?

Inconfortable. Cilea est un grand orchestrateur mais —les faits le démontrent— il ne maîtrise pas toutes les ressources et exigences du chant. Il en résulte des moments magnifiquement peints par le compositeur, et d’autres qui donnent l’impression d’avoir été presque « forcés » sur une base musicale préconçue. En analysant son type d’écriture, en tant que compositeur, je pourrais affirmer —presque sans trop craindre de me tromper— que Cilea s’asseyait au piano et accouchait de structures musicales intéressantes, sur lesquelles il apposait ensuite le chant, pas toujours avec des résultats techniquement confortables. En cela, le génie d’un Verdi ou d’un Puccini reste inégalable. Cela dit, Adriana Lecouvreur contient des passages d’une inspiration remarquable, même s’ils ne sont pas toujours cent pour cent originaux.  

Le rôle de Maurizio vous est-il familier ?

Non. J’ai chanté les airs en concert et je les ai enregistrés il y a environ 30 ans, mais je n’avais jamais chanté le rôle entier auparavant. Ce titre m’échappait depuis des années. C’est le prix à payer quand on fait un répertoire que peu abordent —Otello, Canio, Samson, Grimes— et que l’on est donc davantage sollicité pour ces rôles que pour ceux qui peuvent être interprétés plus aisément par un ténor moins dramatique.

José Cura (Otello) et Karita Mattila (Desemona) en 2001 sur la scène du Théâtre du Châtelet dans une mise en espace de Daniele Abbado – Photo: Marie-Noëlle Robert

Avez-vous des références vocales quant à l’interprétation de ce rôle ?

Il est très tentant de se faciliter la vie en étudiant un rôle sur la base —garantie— de l’interprétation d’un autre. La première chose que je dis à mes élèves quand je donne une master-class, c’est : « Prenez tous les disques que vous avez, et cachez-les. Construisez vos interprétations sans imiter, en cherchant ce que vous voulez, et pouvez, dire. » Je ne peux donc pas contredire mes propres enseignements…

 Parlez-nous de ce personnage d’un point de vue dramatique.

C’est un personnage plutôt désagréable, même s’il chante de belles mélodies. C’est un arriviste politique qui joue sur plusieurs tableaux pour atteindre ses ambitions. Il finit par se faire haïr par la princesse, utilisée pour obtenir des avantages politiques, et mépriser par Adriana, profondément déçue par l’“homme” derrière le masque du séducteur. Un peu comme Radamès, dans Aïda, qui cherche à obtenir le meilleur des deux mondes : l’amour d’Aïda et le soutien politique d’Amneris. Ni plus ni moins que tant de personnages actuels, empêtrés dans des intrigues politiques pour grappiller des privilèges sans mériter, même de loin, l’autorité de la fonction. Rien de nouveau sous le soleil, tristement.

Dans quel opéra aimeriez-vous revenir au Capitole ?

Il y a quelques jours, en parlant avec Christophe Ghristi, je lui ai dit que je me sentais très à l’aise à Toulouse, aussi bien dans cette belle ville qu’avec la collaboration des personnes qui forment la famille de ce théâtre. De plus, cela me réjouit énormément de savoir que je suis sur une scène où le public aime encore le chant solaire et passionné à l’italienne, en cette époque de faux stéréotypes vocaux, où il semble que les 120 dernières années —vous me parliez de Caruso— étaient une erreur, et où les papes de l’industrie actuelle décrètent que l’on ne doit plus chanter ainsi. Le chant entubé et les rôles confiés à de belles voix mais hors de leur répertoire sont à la mode aujourd’hui. Heureusement, pas à Toulouse ! C’est pourquoi je peux déjà annoncer avec joie que mon retour est prévu avec Peter Grimes (ndlr : opéra de Benjamin Britten créé en 1945) pour la saison 2026/2027. Et je n’en fais pas mystère : ayant trouvé une scène qui vibre comme j’ai toujours aimé vibrer, je serais très heureux de passer quelques-unes de mes dernières années de carrière à venir régulièrement chanter et diriger, car je sais que l’orchestre ici est une Ferrari !  

Quels sont vos engagements après cette Adrienne Lecouvreur ?

J’ai chanté environ 3000 représentations en plus de 40 ans de carrière, et maintenant, aussi pour espacer un peu mes engagements comme chanteur afin d’être toujours reposé, je dirige aussi bien des orchestres que je réalise des mises en scène pendant la majeure partie de l’année. Le prochain projet qui m’enthousiasme est ma nouvelle production de Peter Grimes à Tallinn, production que j’aurai ensuite le plaisir de présenter à Toulouse.

Propos recueillis par Robert Pénavayre le 5 juin 2025

Adrienne Lecouvreur au Capitole de Toulouse du 20 au 29 juin 2025

Renseignements et réservations : opera.toulouse.fr

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