Chopin reste le compositeur fétiche de la pianiste italienne Beatrice Rana. Après avoir consacré quelques albums au compositeur polonais, la voici qui associe sa fameuse Sonate « funèbre » au monument pianistique le plus impressionnant de ceux que Beethoven a érigés, l’immense Sonate « Hammerklavier ».
Le couplage réalisé par la pianiste constitue une rareté absolue. Comme elle l’explique dans le livret de ce nouvel album, Beatrice Rana a été incitée à rapprocher ces deux chefs-d’œuvre par l’idée que la mort, évidente pour la Sonate n° 2 de Chopin, plane également sur la Sonate n° 29 de Beethoven. En outre, les circonstances nées de la période d’isolement due à l’épidémie de Covid a accordé à l’interprète le temps nécessaire à l’assimilation de la « Hammerklavier » ! Une impression de liberté, presque d’improvisation assumée, domine l’exécution de ces deux œuvres.
Le premier volet, Grave – Doppio movimento, de la Sonate de Chopin qui ouvre cet album met en évidence un contraste étonnant entre anxiété et vivacité. Le Scherzo associe une sorte de bipolarité entre animation et réflexion. La Marche funèbre, cœur battant de l’œuvre, témoigne d’une intériorité, d’une retenue qui génèrent une profonde émotion sans démonstration excessive. Le Finale – Presto impressionne par son étrangeté. Abordé et construit comme une fuite en avant, il laisse ouverte la question de la mort.
L’interprétation de la Sonate « Hammerklavier », la plus monumentale des partitions pour piano seul de Beethoven, surprend par l’originalité, la personnalité de sa conception. Les contrastes sont soulignés dès les premières mesures de l’Allegro initial. Le jeu nerveux, staccato, de l’interprète anime le Scherzo – Assai vivace. L’Adagio sostenuto constitue le pivot essentiel de toute l’œuvre. Beatrice Rana confère à cette méditation profonde une intériorité remarquable non exempte d’obsessions passagères. Elle parvient à intégrer au discours les silences inquiétants qui le ponctuent. L’Introduction Largo du mouvement final sonne ici étrangement, alors que la Fugue conclusive n’élude pas l’image troublante que construit cette interprétation spontanée et originale.
Serge Chauzy
Album 1 CD Warner Classics Réf 5054197897658