Le chef d’orchestre italien Michele Spotti, tout juste trentenaire, fait partie des trésors que nous révèle Christophe Ghristi au cours de ses saisons. Tout comme Victorien Vanoosten, Michele Spotti appartient sans aucun doute à cette génération qui règnera sur la direction lyrique et symphonique dans les proches années à venir. Pour l’heure, et après nous avoir totalement séduit par son approche de La traviata de Giuseppe Verdi au Capitole il y a un an, et avoir porté au triomphe in loco le mois dernier les reprises de l’Idomeneo de Wolfgang Amadeus Mozart, le voici à nouveau dans la fosse capitoline pour le chef-d’œuvre de Gioacchino Rossini, La Cenerentola. Le public toulousain a décidément beaucoup de chance !
Rencontre.
Classictoulouse : Vous venez de porter au triomphe l’Idomeneo de Mozart à l’Opéra national du Capitole de Toulouse et, dans la foulée, vous y dirigez la Cenerentola de Rossini. Ce compositeur fait partie de votre ADN.
Michele Spotti : C’est la première fois que j’enchaîne deux productions dans un même théâtre ! Effectivement, Gioacchino Rossini m’a ouvert la porte du monde lyrique. Puis ce fut ma rencontre en 2016 avec Alberto Zedda, grand spécialiste rossinien qui, lui, m’a présenté au Festival Rossini de Pesaro. Cette année, j’y retourne pour la septième fois ! Le premier ouvrage de Rossini que j’ai étudié est son Ermione, un opera seria qui contient beaucoup de récitatifs.
Cenerentola est on ouvrage qui vous est familier ?
Pour l’anecdote, la première fois que j’étais assistant, c’était Cyrille Dubois, que je viens de diriger dans Idamante, qui chantait Ramiro. Dernièrement je l’ai repris à Munich. Mais oui, c’est un ouvrage qui m’est familier.
Tout comme Mozart avait 25 ans lorsqu’il composa son Idomeneo, Rossini avait le même âge lorsqu’il écrivit cette Cenerentola. Malgré leur jeunesse à tous les deux, peut-on cependant parler d’ouvrages de la maturité, voire d’ouvrages de transition ?
C’est vrai, ce sont deux ouvrages de transition. Chez Mozart, celle-ci se trouve dans la forme, chez Rossini, elle est dans l’orchestration et l’harmonisation. Il utilise certes des formes rossiniennes classiques telles que le fameux crescendo, mais il emploie ici des timbres et des couleurs spécifiques pour les personnages. Sans oublier un lyrisme pour la partie vocale qui atteint ici des sommets. J’aime à comparer, dans l’univers rossinien, Cenerentola et L’Italiana in Algerie, non pas pour les opposer mais pour dire que ce sont deux himalayas. Cenerentola est la perfection « dramatique » de l’opéra bouffe, alors que L’Italiana est un sommet de fraicheur et de vitalité dans le même genre musical.
Alors que Mozart en 1781 abandonne l’operia seria avec Idomeneo, Rossini, lui, abandonne en 1817 l’opéra bouffe pour près de 10 ans, n’y revenant qu’avec Le Comte Ory. Que nous racontent finalement ces changements de style ?
La similitude est troublante, vous avez raison. La réponse est certainement complexe et je ne suis pas sûr que quiconque puisse y répondre. Ce que je peux dire pour ma part, c’est que Rossini était un homme très sensible. A la fin du manuscrit de sa Petite messe solennelle, il nous dit qu’il aimerait être considéré comme un compositeur d’opera seria, mais son succès dans l’opera buffa était tel qu’il lui était difficile de s’en extraire. Le conte de Perrault lui donne l’occasion de faire un ouvrage qui mélange les deux, avec une histoire pas drôle du tout et des éléments comiques. La richesse de cet opéra se trouve dans la musique. D’ailleurs, diriger Cenerentola demande beaucoup d’attention car dans cette partition il y a des moments de grande tension dramatique.
Cet ouvrage contient des duos et des ensembles très exigeants en terme de rythmique. Comment les abordez-vous avec les chanteurs ?
C’est une partition qui réclame pour tous beaucoup de virtuosité. Alors bien sûr il convient de soutenir les interprètes mais sans pour autant renoncer à cette incroyable horlogerie qui en fait toute la saveur. Et je dois bien reconnaitre aller à toute allure dans les moments les plus fous. Certes il y a des passages pendant lesquels il faut mettre en évidence et souligner des lignes vocales d’un très beau lyrisme. Puis il y a toute cette grande partie de chant syllabique effréné dans laquelle plusieurs personnages chantent à toute vitesse des choses différentes les uns des autres. C’est une mécanique infernale qu’utilisera d’ailleurs Giuseppe Verdi dans le premier acte de son Falstaff. Dans ces moments de folie lyrique il faut faire très attention aux chanteurs, les entraîner le plus loin possible tout en étant attentif à leurs limites naturelles. Au Capitole il y a deux distributions, c’est très excitant car c’est une musique que l’on ne peut diriger que, si vous me permettez la comparaison, en faisant du sur-mesure et non pas du prêt à porter. Sinon on met les chanteurs en danger. En fait je ne dirige jamais pareil car cette musique est complétement intemporelle.
Que signifie pour les interprètes ce « sur-mesure »
Contrairement à Idomeneo, une partition dont il est indispensable de se tenir au plus près, Cenerentola, et plus généralement le style bouffe rossinien, contient dans la nature même de son écriture musicale, autant dans le rubato que dans la vocalise, des champs de liberté tout ouverts et je propose aux chanteurs d’en profiter. La clé de l’interprétation est là, ce mélange virtuose de liberté et de rythmique imposée.
C’est la troisième fois que vous dirigez l’Orchestre national du Capitole. Dans quelle œuvre lyrique aimeriez-vous le diriger demain ?
Soit Un Ballo in maschera de Giuseppe Verdi, qui est mon opéra préféré avec Falstaff du même compositeur, ou encore Guillaume Tell de Gioacchino Rossini. Ce sont des partitions très complexes et je sais à présent que cette formation, que j’ai dirigée, en public, près de trente fois, sans compter les répétitions, est capable de se mesurer à de pareils challenges. Ce sont de simples exemples qui correspondent à mon goût mais, à vrai dire, l’Orchestre national du Capitole est très impressionnant.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 19 mars 2024