Le concert donné le 13 octobre dernier par l’Orchestre national du Capitole retrouvait le grand pianiste toulousain Bertrand Chamayou, toujours prophète en son pays, et le dynamique chef d’orchestre américain Ryan Bancroft. Cette belle rencontre musicale a produit les étincelles d’un succès considérable auprès d’un public fasciné.
Intitulé « Paysages scandinaves », le programme de ce concert lumineux réunissait un ensemble ouvert d’œuvres fortes. Une création française originale, la confirmation d’un chef-d’œuvre concertant et le retour d’une partition emblématique restée trop rare se complètent harmonieusement.
Rappelons tout de même que Bertrand Chamayou, lauréat du prestigieux Concours Long-Thibaud à l’âge de vingt ans, est le seul artiste à avoir remporté cinq Victoires de la Musique Classique ! Il sait faire preuve d’audace et d’imagination dans ses programmations qui couvrent un large domaine musical, de la période classique aux productions contemporaines. Il a choisi cette fois d’aborder l’une des grandes pages du répertoire romantique, le Concerto en la mineur d’Edvard Grieg.
Le chef invité, Ryan Bancroft, a grandi à Los Angeles et a été révélé au plan international en avril 2018 lorsqu’il a remporté à la fois le Premier Prix et le Prix du Public de la prestigieuse Malko Competition for Young Conductors à Copenhague. Lors de sa première venue à Toulouse, le 26 mai 2022, il a reçu un accueil enthousiaste à la fois de la part du public et des musiciens.
Ce 13 octobre, il choisit d’ouvrir le concert avec la création française d’une œuvre nouvelle intitulée Liguria de la compositrice suédoise, née en 1981, Andrea Tarrodi. Cette courte pièce nous propose une excursion colorée de la belle région italienne des Cinque Terre que borde la mer de Ligurie. Particulièrement riche en percussions, cette partition explore successivement les cinq villages qui composent cette contrée lumineuse. Les contrastes dynamiques, les brillantes couleurs de l’orchestration séduisent immédiatement. De beaux solos de cor anglais et de flûte alternent avec les évocations fracassantes de tempête de l’ouverture jusqu’au ciel nocturne qui apaise, de manière très impressionniste, l’atmosphère de la pièce. Une belle découverte !
Il n’est certes plus à découvrir, mais reste l’un des emblèmes « sacrés » de la culture nordique. Le Concerto pour piano et orchestre du Norvégien Edvard Grieg multiplie les allusions aux paysages et à la culture de ces contrées. Bertrand Chamayou l’aborde avec le bel enthousiasme dont il est coutumier. Les premiers accords de l’Allegro molto moderato sonnent avec une énergie flamboyante que de paisibles plages de quiétude viennent tempérer. Dans la cadence qui conclut ce mouvement, le pianiste déchaîne toutes les forces incroyablement maîtrisées du clavier. Le rêve, la poésie irriguent un Adagio évocateur d’une promenade nocturne. Dans le final Allegro moderato molto e marcato, Bertrand Chamayou déploie un héroïsme impressionnant, au point de faire de son piano un clavier d’orgue. Soulignons le magnifique équilibre sonore et expressif qui réunit le soliste et l’orchestre, mené de main de maître et coloré comme il se doit, par Ryan Bancroft.
L’ovation qui salue cette interprétation magistrale ne se calme provisoirement que lorsque Bertrand Chamayou annonce un bis un peu en marge de la thématique scandinave de la soirée. Encore que le caractère nordique ne soit pas étranger à cette pièce pleine de poésie, intitulée L’Alouette de Mikhaïl Glinka arrangée par Mily Balakirev. Un beau complément au concerto.
La seconde partie de la soirée est consacrée à la mythique Symphonie n° 4 « L’Inextinguible » du Danois Carl Nielsen dont on regrette la rareté dans les programmes de concert. L’Orchestre national du Capitole l’a néanmoins déjà jouée sous la direction de Joseph Swensen. Cette œuvre bouillonnante en quatre mouvements enchaînés explore tous les détours contradictoires de l’âme humaine. Son orchestration rutilante confère un rôle particulier aux deux timbaliers qui s’opposent ou combinent leurs interventions stratégiques. Le déroulement continu de l’œuvre prend l’auditeur à témoin des luttes, des angoisses, des plaintes humaines exposées dès le premier mouvement. A peine l’atmosphère s’apaise-t-elle dans un deuxième mouvement aux accents juvéniles que le violon solo et le violoncelle solo semblent lutter au cœur des accords dissonants du troisième volet. Le dernier mouvement met en scène une bataille rangée entre les deux timbaliers. L’ardeur positive du thème final illustre les paroles du compositeur lui-même qui indique : « Cette symphonie décrit les sources les plus primitives du flux vital et le bonheur de sa perception, c’est-à-dire, ce qui touche l’être humain, le monde animal et végétal comme il peut être perçu ou vécu. La musique est la vie, comme elle, inextinguible. »
L’atmosphère de ce final semble venir soulager la triste actualité guerrière que nous vivons en ce moment. Le public ne s’y trompe pas qui fait une véritable ovation à cette magistrale interprétation d’une œuvre magistrale. Une fois encore les musiciens de l’orchestre acclament leur chef invité dont tout le concert témoigne des liens qu’ils ont tissés avec lui.
Il se murmure que Ryan Bancroft n’a pas fini de collaborer avec la phalange toulousaine…
Serge Chauzy
Programme du concert donné le 13 octobre 2023 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse
- Andrea Tarrodi
Liguria – Création française
- Edvard Grieg
Concerto pour piano en la mineur, op. 16
- Carl Nielsen
Symphonie n°4 « L’Inextinguible », op. 29