Le retour de la basse française au Capitole de Toulouse se fait pour une prise de rôle majeure dans sa carrière
En 1995, le jeune Nicolas abandonne ses études de violon au Conservatoire de Rennes, sa ville natale, et se tourne vers le chant au Conservatoire de Paris dans la classe de Jane Berbié. Après un passage en troupe à l’Opéra de Wiesbaden, Nicolas Courjal se lance dans une carrière internationale en 1999. Il se produit dès lors dans tous les théâtres lyriques français mais également à l’étranger : Londres, Lausanne, Venise, Bruxelles…
Classictoulouse l’a rencontré à l’occasion de sa prise du rôle-titre du Mefistofele d’Arrigo Boito à l’Opéra national du Capitole de Toulouse.
Classictoulouse : Vous chantez pour la première fois au Capitole en 2004, c’est pour une reprise de Mme Butterfly à la Halle aux grains, vous êtes alors un Oncle Bonze tout juste trentenaire. Puis il faut attendre une autre reprise, celle d’Arabella au Capitole cette fois, en 2006 dans laquelle vous êtes Lamoral. Aujourd’hui votre retour se fait, pour le moins, en majesté. Que s’est-il passé depuis ?
Nicolas Courjal : Ce qui m’a le plus construit, ce sont les rencontres avec des directeurs de théâtre tels que Raymond Duffaut pour Avignon et Orange, Jean-Louis Grinda à Monaco, Maurice Xiberras à Marseille. Ils m’ont permis de me développer et d’apprendre mon métier grâce à leur confiance. Ce sont des personnes qui connaissent parfaitement les voix et les répertoires. Ils nous sont indispensables. J’ai toujours eu la chance de croiser des directeurs qui œuvrent au cœur de leur métier pour l’épanouissement des artistes. A ceux-là s’ajoute aujourd’hui Christophe Ghristi pour Toulouse.
Vous qui avez chanté les Méphisto de Gounod et de Berlioz si souvent, attendiez-vous avec impatience de vous mesurer à celui de Boito ?
Ce fut pour moi une belle surprise lorsque Christophe Ghristi me l’a proposé. D’abord parce que ce titre est peu souvent à l’affiche. J’en connaissais les principaux passages me concernant mais lorsque j’ai ouvert la partition je me suis alors aperçu des immenses trésors qu’elle contenait. Comme les autres personnages diaboliques que j’ai déjà chantés, ceux que vous avez cités, mais aussi ceux des Contes d’Hoffmann et de Robert Le Diable, j’ai mesuré combien celui de Boito allait me demander encore une fois un formidable engagement autant vocal que scénique. Il est toujours présent, il mène le bal en permanence. En même temps il est terriblement excitant et passionnant.
Quelle est la particularité de ce Diable lyrique dont le caractère très particulier semble le destiner plus à un artiste lyrique qu’à un chanteur tout court, aussi prestigieux soit-il ?
C’est vrai que ce Mefistofele réclame une véritable incarnation dont le chant va bien au-delà de la musique. Cela dit cette partition, que je suis en train d’appréhender dans toute son ampleur, est très exigeante vocalement. Mais il est vrai que certains passages autorisent, demandent même peut-être, de dépasser la simple vocalité, jusqu’à « salir » sa voix pour parvenir à des sons diaboliques. Pour tout vous dire, en répétition, le chef, Francesco Angelico, m’a demandé d’expérimenter non pas la note écrite mais d’émettre un cri à sa place. Ce travail va résulter de la recherche d’un équilibre que seul le chef peut impulser. N’oublions pas que le Méphisto de Boito est le plus vicieux, grinçant, noir, retord. En un mot, pardon pour le terme, mais c’est le plus tripal. Osons le mot : vériste. Et çà j’adore. Par comparaison, les Méphisto français sont plus axés sur un hédonisme purement musical.
Quelles en sont les difficultés et peut-être les pièges ?
C’est un rôle réclamant un médium puissant parce que le rôle est centré sur ce registre. Le grave n’est pas spécialement sollicité et les quelques aigus ne sont pas un vrai challenge puisqu’ils ne dépassent pas le fa. Le piège, s’il y en a un, c’est certainement la gestion de l’énergie autant vocale que dramatique car, pour mon personnage, il n’y a aucun moment de répit pour me reposer. Même lorsque ma partie n’est pas spécialement orchestrée, il me faut imposer la puissance du rôle dans ma projection. Je sais d’ores et déjà que c’est un emploi que j’aimerai refaire plusieurs fois tellement il est riche.
Est-ce que vous vous nourrissez des deux autres Méphisto pour composer celui-ci ?
De celui de Gounod certainement. Pas de celui de Berlioz car son écriture est plus légère, convenant à un baryton-basse, « français » par-dessus tout.
Avez-vous écouté les grands Méphisto des temps anciens ?
C’est bizarre car, effectivement, j’écoute les grands anciens et en même temps je n’y tiens pas trop de peur d’être influencé par leur interprétation. Pour répondre plus directement à votre question, oui bien sûr j’ai écouté Cesare Siepi, Samuel Ramey, Nazzareno De Angelis. Je sélectionne les chanteurs dans lesquels, quelque part, je peux, en toute humilité, me retrouver. De toute manière, chaque fois que j’interprète un personnage, j’essaie de le défendre. Celui-ci n’est que le miroir de l’être humain. Il ne se refuse rien et il est d’une extrême honnêteté envers lui-même. C’est un joueur qui défie Dieu. Il est ce que l’Homme trop souvent se refuse.
Pour quels rôles êtes-vous aujourd’hui le plus sollicité ?
Le 19ème siècle français incontestablement, mais aussi le répertoire italien, pas celui de Bellini et de Donizetti, plutôt les grands ouvrages de Verdi. J’adorerai poursuivre mon expérience wagnérienne, mais pour l’heure ce n’est pas le cas… Côté Mozart, j’ai déjà fait Sarastro et le Commandeur, deux rôles qui m’intéressent beaucoup. Evidemment, je rêve de Don Giovanni. Les personnages de Figaro et Leporello m’attirent beaucoup moins.
Quelles prises de rôle vous attendent dans les temps prochains ?
La saison prochaine sera une saison de prises de rôle : Escamillo à Rouen, Nilakantha à Strasbourg, Don Quichotte à Marseille et Zaccaria pour une nouvelle production de Nabucco à Lausanne. C’est l’un des grands Verdi qui manquaient à mon répertoire. C’est un rôle écrasant, un vrai challenge.
Propos recueillis par Robert Pénavayre le 14 juin 2023